Dieudonné Kamuleta : « Il faut éviter de transformer la Constitution en un instrument malléable au bénéfice des politiques »

« La Constitution est le symbole par excellence de la cohésion nationale. Il faut éviter de transformer la Constitution en un instrument malléable au bénéfice de la stratégie de la politique partisane », déclare le président de la Cour constitutionnelle, Dieudonné Kamuleta Badibanga. Le haut magistrat s’exprimait au cours de l’audience solennelle dans le cadre de la rentrée judiciaire 2022-2023 de cette juridiction, le samedi 29 octobre dans la salle de Congrès du Palais du peuple. Ce, conformément à la Constitution et au Règlement intérieur en son article 100.

Dans son discours doctrinal, le président de la Cour constitutionnelle s’est appesanti sur le rôle et la contribution de sa juridiction dans la refondation d’un Etat de droit auquel aspirent les Congolais.

Fondant son discours sur le thème : «La contribution de la Cour constitutionnelle à la consolidation du constitutionnalisme en RDC», il a expliqué que son pays «n’est pas à sa première expérience du modèle de la justice constitutionnelle. La RDC s’est inscrite, dès son accession à l’indépendance, dans la droite ligne de ce système, en attribuant l’exclusivité du contrôle de la constitutionnalité de la Cour constitutionnelle instituée par la Loi fondamentale».

Kamuleta a ainsi appelé la Haute Cour à assurer la garantie des droits fondamentaux, la limitation des pouvoirs dans l’Etat et la rationalisation des phénomènes politiques.

«Tout comme l’Etat de droit, le constitutionnalisme repose sur trois piliers postulant un encadrement juridique du pouvoir par la Loi fondamentale : le pouvoir seul, le contrôle de ce pouvoir par la justice constitutionnelle et la division horizontale et verticale», a-t-il indiqué.

Abordant les droits de la défense, Dieudonné Kamuleta Badibanga a souligné qu’ils «comportent trois composantes indissociables : le droit où la personne mise en cause doit être informée qu’une procédure engagée pouvant aboutir à une sanction est engagée contre elle et devant recevoir communication du greffe mis à sa disposition ; le droit de disposer d’un laps de temps nécessaire pour déclarer sa défense ; enfin le droit d’être mise dans les dispositions de présenter effectivement sa défense. Cela implique l’obligation pour l’organe de contrôle et de sanction d’informer l’intéressé sur ses charges dans le délai raisonnable , c’est-à-dire ni trop tôt ni trop tard, avant toute sanction de le mettre en mesure d’organiser sa défense et de la présenter utilement ; le droit à une égale protection des droits compose que les hommes soient traités de la même façon, qu’ils disposent de mêmes droits, qu’ils soient soumis aux mêmes devoirs et que personne ne soit victime d’une implication discriminatoire et d’une disposition de la Constitution ou de la loi

LES JUGES DE LA COUR SONT L’ARBITRE DE LA CONSTITUTION

Par ailleurs, pour le président de la Cour constitutionnelle ; sa juridiction offre une protection procédurale et substantielle à l’Etat de droit auquel tout Congolais aspire. Au passage, dans son discours à caractère académique, il a déclaré que la personne qui est sensée répondre à son procès, mais refuse de s’y présenter sans raison valable, renonce implicitement à la règle de l’exercice constitutionnel.

« La Constitution, a poursuivi Dieudonné Kamuleta, étant le jeu politique, il est normal que les juges de la Constitution en soient l’arbitre afin de stabiliser le jeu et de sanctionner le comportement déviant et d’empêcher les transformations de la règle de droit », tout en soulignant que la Cour constitutionnelle a mission de protéger la Constitution contre les excès des pouvoirs, de servir de dernier rempart et d’instrument de pacification sociale…

Auparavant, le magistrat présidant aux destinées de cette Haute Cour a estimé qu’elle devrait être connue de tous les Congolais, gouvernants et gouvernés. Les premiers parce qu’ils devaient connaître les limites de leurs prérogatives respectives, les seconds parce qu’ils devraient être édifiés par leurs droits et leurs valeurs.

SUPREMATIE DE LA CONSTITUTION 

Tout compte fait, Dieudonné Kamuleta a mis en exergue le rôle crucial qu’entend continuer à jouer la Cour constitutionnelle, à savoir : la suprématie de la Constitution, la protection et la promotion des droits humains.

Dans sa Mercuriale, le Procureur général près cette Haute Cour, Jean-Paul Mukolo Nkokesha, a plaidé pour la suppression de l’amendement apporté à l’article 149 de la Constitution par la loi n°11002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République du 18 février 2006. Il a démontré que la formule de l’article 149 dans son articulation de 2006 ne comporte aucun élément pouvant entraîner un quelconque dysfonctionnement dans la marche des institutions de la RDC. C’est pourquoi il plaide pour la réhabilitation de cette première version.

Dans un style qui lui est propre, Jean-Paul Mukolo Nkokesha a fustigé le comportement de ses pairs qui se sont compromis en tombant dans le jeu fluide des politiques. «La politique est connue pour sa fluidité, sa souplesse, son élasticité. Le pouvoir judiciaire, de manière générale, propose aussi le respect par chacun de ses contraintes professionnelles. Le politique voudrait voir le judiciaire le rejoindre dans sa souplesse. Le judiciaire aussi souhaite le soutien politique dans ses contraintes opérationnelles», a-t-il révélé. Avant de déplorer: «Beaucoup de magistrats connus, au départ de leur carrière, rigoureux, intègres, se sont retrouvés disqualifiés après avoir cédé au jeu judiciairement inapproprié de la fluidité politique».

JUGEMENTS DE LA COUR SONT SANS APPEL

Par ailleurs, dans son argumentaire, il a démontré que les lois organiques qui assurent la mise en œuvre des dispositions de la Constitution du 18 février 2018 sont bonnes, qu’elles sont même très bonnes. Tout en fustigeant le fait que les règles pénales pourtant publiées à l’initiative du politique se retrouvent difficilement acceptées lorsqu’elles doivent lui être appliquées.

Le Procureur général près  la Cour constitutionnelle a été précédé par le Bâtonnier  national, Me Michel Shebele Makoba. Il a planché sur la problématique récurrente de l’exception d’inconstitutionnalité dirigée contre les actes de procédure judiciaire.

La Cour constitutionnelle, rappelle-t-on, règle les contentieux électoraux (présidentielle, législatives, les referendums ainsi que les appels concernant la constitutionnalité de lois ou de règlements. Elle a été instituée par la Constitution du 18 février 2006 et mise en service après l’éclatement de la Cour suprême de justice en 2015. Les jugements de la Cour constitutionnelle sont sans appel et leur exécution immédiate.   Kléber KUNGU

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