Page de l’histoire : Il y a 39 ans, la rumba congolaise perdait son  » dieu de la guitare  » Docteur Nico

Le 22 septembre 1985, il y a 39 ans, la musique congolaise perdait l’un de ses plus grands virtuoses : Nicolas Kasanda wa Mikalayi, connu sous le nom de Docteur Nico. Ce guitariste de légende, auteur-compositeur et l’un des pionniers de la rumba et du soukouss congolais, a marqué l’histoire de la musique africaine par ses chef-d’œuvres. Sa disparition, survenue à l’Hôpital St-Luc de Bruxelles à l’âge de 46 ans, a laissé un vide immense dans le cœur des mélomanes.

Né le 7 juillet 1939, dans le Kasaï, Nicolas Kasanda grandit dans une époque marquée par une effervescence musicale, où la guitare, alors acoustique, accompagnait les voix des chansonniers comme Wendo Kolosoy. Très tôt, Nicolas est exposé à la musique grâce à son environnement familial, notamment son père accordéoniste et son frère aîné, Charles Mwamba Kabamba, alias Dechaud, qui deviendra lui aussi un guitariste renommé. Fasciné par la guitare, le jeune Nicolas rêve de suivre les traces de son frère.

La région du Kasaï et son environnement musical riche vont façonner sa technique. Dr Nico s’inspirera du mutuashi, un rythme et une danse traditionnels de sa région, mais surtout, il adaptera à la guitare la technique du likembé (sanza), un instrument à lamelles également appelé « piano à pouce ». C’est cette hybridation de styles et de techniques qui rendra son jeu de guitare unique et révolutionnaire.

L’Influence des maîtres : Tino Baroza et Jimmy le Banguissois

Dr Nico grandit dans un environnement où la guitare est reine. Il est influencé par des figures majeures comme Tino Baroza, son cousin, et Jimmy Zakari alias Jimmy le Banguissois, un célèbre guitariste centrafricain qui popularisa la guitare hawaïenne au Congo. Ces musiciens, adeptes du picking et du vibrato, marqueront profondément le jeune Nicolas, qui développera son propre style en fusionnant ces influences avec ses racines traditionnelles.

L’African Jazz : L’ascension au côté de Grand Kallé

En 1951, alors âgé de seulement 12 ans, Dr Nico enregistre son premier disque avec Joseph Kabasele, alias Grand Kallé Jeff, leader de l’orchestre African Jazz, l’un des premiers grands orchestres congolais. Rapidement, Nico s’impose comme guitariste soliste grâce à sa virtuosité, son élégance et sa capacité à dialoguer avec les autres instruments de l’orchestre.

En 1960, lors de la Table Ronde de Bruxelles qui précède l’indépendance du Congo belge, Dr Nico grave à jamais son nom dans l’histoire avec ses riffs sur le célèbre morceau « Indépendance Cha Cha », devenu l’hymne de la libération congolaise.

L’African Fiesta et L’école de la guitare congolaise

En 1963, Dr Nico cofonde avec Tabu Ley Rochereau un nouvel orchestre, l’African Fiesta, qui connaît un succès fulgurant. Cependant, en 1966, une scission se produit, donnant naissance à deux formations : African Fiesta International de Tabu Ley Rochereau et  African Fiesta Sukisa de Dr Nico. Ce dernier y développe un style de guitare reconnaissable entre mille, basé sur une technique fluide où l’égrènement des sons et les riffs sophistiqués sont omniprésents.

Parallèlement, la rivalité entre  Dr Nico et Franco Luambo, autre géant de la musique congolaise, marque les années 1960 et 1970. Chacun des deux guitaristes propose une école de jeu distincte : tandis que Franco valorise le sébène, une longue improvisation qui met en avant les riffs du guitariste, Dr Nico se distingue par sa capacité à intégrer dans son jeu des éléments de la cithare et du likembé, créant ainsi une sonorité envoûtante et unique.

Le règne de l’African Fiesta sukisa

Dans les années 1970, l’African Fiesta Sukisa connaît un immense succès. En plus d’explorer le mutuashi, le groupe propose une section rythmique solide avec des musiciens talentueux comme le batteur Georges Armand et le bassiste Luningu.Des morceaux comme « Ngalula », « Marie Pauline », « Bougie ya motema » et « Bolingo ya sens unique » deviennent des classiques, faisant vibrer les mélomanes des deux Congo.

Cependant, dans les années 1980, avec l’émergence de la jeune génération adepte du soukouss, Dr Nico peine à retrouver le même succès. En 1984, il sort cependant l’album « Dieu de la Guitare (N°1) – Mikalay », suivi d’une tournée aux États-Unis avec l’orchestre Les Redoutables d’Abeti Masikini, qui donnera naissance à son ultime opus, « Aux U.S.A », un album mêlant rumba congolaise et soukouss.

Un héritage immortel

Atteint par la maladie, Dr Nico est transporté en urgence à Bruxelles, où il meurt le 22 septembre 1985.Bien que sa carrière ait été interrompue prématurément, son influence sur la musique congolaise et africaine est incommensurable. Son style de jeu, sa virtuosité et son apport à la rumba et au soukouss continuent d’inspirer des générations de musiciens.

Aujourd’hui encore, les riffs de Dr Nico résonnent dans les cœurs des amoureux de la guitare. Il n’était pas seulement un musicien exceptionnel, il était un docteur des âmes, soignant et faisant danser grâce à la magie de ses cordes.

Christian-Timothée MAMPUYA

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