Se confiant à Forum des As à l’occasion de la Journée du diplomate russe : Alexey Sentebov: « La Russie ne considère pas l’Afrique comme une vache à lait »

Ambassadeur de la Fédération de Russie en République Démocratique du Congo, Alexey Sentebov a accordé une interview exclusive à « Forum des As » à l’occasion de la Journée du diplomate russe qui sera célébrée demain samedi 10 février. Il éclaire l’opinion sur la genèse de cette journée et sur la nouvelle approche de cette diplomatie dans le monde au lendemain de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine. Alexey Sentebov explique pourquoi Moscou s’intéresse particulièrement à l’Afrique en cette période où l’influence russe s’accroit de jour en jour sur le continent. Occasion également pour le diplomate d’évoquer les perspectives des relations bilatérales avec la République démocratique du Congo, dont le Président Félix Tshisekedi vient d’être réélu pour un second mandat.

Forum des As: Monsieur l’Ambassadeur, vous célébrez ce 10 février la Journée du diplomate russe. Pouvez-vous éclairer l’opinion sur le contexte qui a prévalu pour l’instauration de cette fête et à cette date précise ?

Alexey Sentebov: La Journée du Diplomate a été instaurée le 31 octobre 2002 par le Décret du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. C’est une fête professionnelle qui met en exergue les mérites et les réalisations de la diplomatie dans la longue histoire de l’État russe.

La date de la célébration est choisie en se fondant sur la première mention faite dans les archives du département gouvernemental chargé de la politique étrangère russe, appelé l’Ordre des Ambassadeurs qui remonte au 10 février 1549.

Quelle sera la particularité de la célébration de la Journée du diplomate russe en cette année 2024 ?

A l’instar des années précédentes, l’Ambassade prévoit à cette occasion plusieurs activités dont une série de conférences sur la politique extérieure de la Fédération de Russie dans les établissements d’enseignement supérieur de la République. Nous sommes heureux de constater un vif intérêt démontré pour cette action de la part des cercles académiques congolais, notamment des étudiants des facultés des relations internationales, des professeurs et stagiaires, ainsi que du personnel du Ministère des affaires étrangères.

Aux conférences s’ajoute un nouvel élément, celui de la projection d’un film de la chaîne internationale d’information en continu RT, primés dans de prestigieuses compétitions internationales, afin de sensibiliser en s’appuyant sur des données irréfutables d’esprits curieux, critiques et attentifs aux problèmes de première importance sur le plan international.

Cette année, nous envisageons de projeter le documentaire «Un Américain dans le Donbass» – c’est le film dans lequel un journaliste américain indépendant dit à ses concitoyens et au monde entier la vérité sur les pays occidentaux qui fournissent des armes au régime de Kiev.

A l’heure actuelle, comment se porte la diplomatie russe à travers le monde?

De toute évidence, dans le contexte de l’aggravation continue de la situation globale, la diplomatie russe est confrontée à de nombreux défis. Il nous reste toujours à relever un ensemble de menaces dont certaines sont devenues plus complexes après le début de l’opération militaire spéciale en Ukraine.

Sur le fond du gel des principales formes d’engagements diplomatiques avec les États-Unis et l’UE, la Russie a publié, en 2023, une nouvelle édition de la «Conception de la politique étrangère de la Fédération de Russie». Dans ce document fondamental révisé qui consacre les principes essentiels de la politique extérieure de notre pays, une grande importance est accordée à la réorientation stratégique vers le Sud global.

Et comme l’ont montré les résultats de la deuxième édition du Sommet Russie-Afrique, qui s’est tenu en juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, les demandes d’adhésion d’une vingtaine de pays étrangers aux BRICS, où la Russie joue un rôle important, le développement de la coopération avec la région Asie-Pacifique, le monde islamique et l’Amérique latine, la Russie a actuellement de plus en plus de partenaires qui ont une attitude autonome dans leurs actions extérieures avec lesquels nous élaborons un cadre de relations interétatiques, invulnérable aux pressions des gouvernements inamicaux.

Le conflit israélo-palestinien bat son plein en ce moment dans le Moyen-Orient. Comment la diplomatie russe joue-t-elle sa partition pour le retour de la paix dans cette partie du monde ?

Notre diplomatie vise à promouvoir le rôle central de l’Organisation des Nations Unies dans la sécurité internationale. Aussi, à chercher de solutions pacifiques aux conflits par voie de dialogue et par le biais des efforts collectifs.

Afin d’empêcher l’escalade du conflit, la Fédération de Russie a lancé un projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies exigeant un cessez-le-feu humanitaire, qui a été bloqué par les États-Unis. Le 27 octobre, l’Assemblée générale des Nations Unies, lors d’une session spéciale d’urgence, a adopté une résolution à une majorité écrasante, qui contient un message sans équivoque pour mettre fin à la violence.

Nous sommes persuadés que les négociations sont effectivement le seul moyen viable de régler ce problème. C’est dans ce but que la Russie, qui entretient des contacts avec toutes les parties concernées, contribue à la réalisation de solutions pacifiques au conflit, en exerçant notamment des fonctions de médiation.

Nous poursuivons nos efforts visant à réanimer les pourparlers israélo-palestiniens afin de mettre en œuvre la formule des deux États approuvée par l’ONU. Sur cette base, un état palestinien indépendant devrait être créé dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-est pour capitale, coexistant dans la paix et la sécurité avec Israël.

Depuis le déclenchement de l’opération militaire en Ukraine le 24 février 2022, la fracture avec nombre de pays occidentaux, membres de l’Otan, prend de plus en plus des proportions considérables. Y a-t-il à ce jour des démarches amorcées par Moscou pour briser la glace et apaiser les tensions ?

Comme tout autre pays, nous nous engageons à avoir un environnement extérieur amical, une coopération constructive avec tous les États étrangers sans exception dans tous les formats. Il est important de comprendre que la réalisation de ces objectifs est possible, non seulement grâce à notre détermination et à nos efforts, mais aussi grâce à ceux d’autres pays.

À l’heure actuelle, nous ne constatons aucune volonté des membres de l’OTAN de réduire les tensions, malgré les déclarations répétées des dirigeants russes sur leur disponibilité à un dialogue pacifique. Malheureusement, en réponse à tous nos appels, nous sommes confrontés à une politique des Occidentaux de plus en plus agressive visant à renforcer la rhétorique antirusse dans l’espace médiatique global, à élargir des sanctions, à expulser massivement des diplomates russes, à stigmatiser notre pays sur la scène internationale et à créer des menaces pour notre sécurité nationale.

À cet égard, je tiens à constater que le déclenchement, par les membres de l’Alliance atlantique, d’une guerre hybride contre notre pays, la mise en danger de notre sécurité, y compris l’expansion de l’infrastructure militaire de l’OTAN dans les zones frontalières avec la Russie, la fourniture au régime de Kiev des armes mortelles et le déploiement de mercenaires étrangers au service des formations militaires ukrainiennes, nous obligent à prendre des mesures rigoureuses dans le but de protéger notre État.

Monsieur l’Ambassadeur, l’influence russe gagne de plus du terrain en Afrique. Quelles sont, selon vous, les raisons qui justifient l’appréciation et l’expansion de la diplomatie de la Fédération de Russie sur le continent ?

Vous avez raison de dire que la présence russe s’étend sur le continent. Ceci est démontré par le fait que les hauts délégués de 49 pays, représentant la majorité absolue des pays du continent africain, dont 27 étaient représentés au niveau des chefs d’État et de gouvernement, ont assisté au récent Sommet pour ouvrir une nouvelle page importante dans les relations avec la Russie et démontrer, une fois de plus, que l’isolement international de Moscou a lamentablement échoué. Et tout cela, malgré la pression sans précédent exercée par les États-Unis et leurs satellites pour empêcher la participation à l’événement.

L’Afrique, riche de ses ressources naturelles, connaît une croissance économique explosive. Elle prend de plus en plus de poids dans les affaires internationales. À cet égard, l’Afrique continue d’être la cible des pratiques néocoloniales des anciennes métropoles qui considèrent le continent comme un véritable «Klondike». La Russie, par contre, ne voit pas l’Afrique comme une vache à lait. L’interaction à grande échelle de la Russie avec l’Afrique est un cas unique qui se fonde sur les principes de l’équité, du bénéfice et respect mutuel, de la prise en compte des intérêts réciproques, ainsi qu’une coopération gagnant-gagnant.

En outre, ce qui nous distingue de nombreux autres pays, ce sont les promesses tenues. La Russie passe toujours des paroles aux actes. Les participants au Sommet et au Forum humanitaire Russie-Afrique ont signé 161 accords. La plupart d’entre eux sont près d’aboutir, y compris l’accord intergouvernemental entre la Fédération Russie et la RD Congo sur les voyages sans visa pour les titulaires des passeports diplomatiques ou de service.

A mon avis, les raisons énumérées sont la clé d’une collaboration réussie entre la Russie et l’Afrique.

Lors du dernier Sommet Russie-Afrique, tenu en juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, Moscou a consenti d’encourager une coopération accrue dans les domaines de l’approvisionnement alimentaire, de l’énergie et de l’aide au développement. Pouvez-vous nous éclairer sur la mise en œuvre de ces engagements ?

Je tiens à vous rassurer que la Russie remplit et continuera à remplir fidèlement ses obligations au titre des contrats internationaux d’exportation de produits alimentaires, d’engrais, de l’énergie et d’autres biens dont l’Afrique a besoin.

Pour ne pas être sans fondement, remontons vers les faits. Lors du sommet qui s’est déroulé fin juillet dernier à Saint-Pétersbourg, le président Vladimir Poutine a annoncé les livraisons gratuites des céréales à six pays africains : Burkina Faso, la Somalie, la République Centrafricaine, le Zimbabwe, le Mali et l’Érythrée. Au total, Moscou a prévu d’y expédier jusqu’à 200.000 tonnes de céréales.  Les fournitures d’aide humanitaire gratuites ont déjà été acheminées à la Somalie, à l’Érythrée et au Mali. Le lot destiné au Zimbabwe est arrivé au port mozambicain le 29 décembre. Il est en cours d’acheminement vers le États destinataires par voie terrestre. Deux autres cargaisons sont également arrivées sur le continent africain et seront acheminées par voie terrestre jusqu’au point final, c’est-à-dire, le Burkina Faso et la République Centrafricaine. Nous sommes préoccupés par une éventuelle crise alimentaire et nous sommes très bien conscient de l’importance des livraisons des produits essentiels pour le développement socio-économique des pays d’Afrique.

Le Président de la RDC, Félix Tshisekedi, vient d’être réélu pour un second mandat. Comment la Russie compte-t-elle l’accompagner pendant ce quinquennat ?

La Russie est toujours prête à œuvrer pour élargir les liens mutuellement avantageux avec la RDC et d’encourager la coopération commerciale, économique, militaro-technique, culturelle, académique, humanitaire, ainsi que dans les domaines du changement climatique, du genre, de l’emploi. Cette année, nous avons déjà procédé à l’élaboration des projets conjoints avec les pouvoirs publics et la société civile congolaise, y compris la mise en œuvre, à Kinshasa, des programmes éducatifs de l’Université russe de l’Amitié des peuples qui a repris le nom du tout premier chef du gouvernement du Congo Patrice Emery Lumumba, l’arrivée en RDC d’une mission d’affaires du Comité de coordination pour la coopération économique avec les pays africains (AFROCOM), ainsi que plusieurs initiatives dans le domaine de la culture.

Nous nous félicitons des efforts du Chef de l’État S.E.M. Félix TSHISEKEDI réélu avec succès visant à assurer la paix et la stabilité à l’est du pays et dans la région des Grands Lacs, à trouver une réponse collective aux crises et aux conflits locaux en promouvant les processus d’intégration régionale sous différentes formes. Et nous sommes toujours à vos côtés pour vous accompagner dans vos démarches dans le cadre de nos relations bilatérales ainsi que sur les plateformes des organisations internationales, en particulier en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies.

Quels sont, pour le moment, les domaines prioritaires dans la coopération entre la RDC et la Russie ?

Il est assez difficile de définir des domaines prioritaires particuliers, étant donné que nous privilégions toute opportunité d’imprimer un élan puissant au renforcement et à l’approfondissement de nos relations bilatérales. Le développement de l’interaction avec votre pays s’effectue dans toutes les directions. J’espère que nous parvenons à maintenir cette dynamique positive dans de diverses sphères.

Quand même, nous attachons une importance toute particulière aux projets dans le domaine humanitaire. Les liens entre les sociétés civiles, les organisations de jeunesse, les structures des domaines de l’éducation et de la formation occupent maintenant une place prépondérante dans nos relations avec la RDC.

Nous considérons l’Afrique comme un continent qui va définir l’avenir de l’humanité. Et ce, pas seulement en raison de ses ressources naturelles, mais plutôt pour le capital humain qui y est significatif.

En cette journée du diplomate russe, quel bilan pourriez-vous dresser de la coopération bilatérale entre Kinshasa et Moscou ?

En dressant le bilan, il convient de noter que nous partageons une longue histoire de la coopération gagnant-gagnant, mais notre rapprochement actuel est plus fort que jamais. Surtout après deux Sommets et Forums économique et humanitaire Russie-Afrique. Les résultats de ces événements consolident encore plus nos acquis et apportent une contribution importante au renforcement de la solidarité et de l’amitié entre nos nations qui célébreront en juillet prochain le 64ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques. Propos recueillis par Yves KALIKAT et Fifi Tangamu

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