L’ambassadeur Murat Ülkü: « La Turquie n’est pas un partenaire temporaire de la RDC »

*Evoquant les récentes élections dans son pays, le diplomate turc souligne que le Président Erdogan est considéré « comme l’architecte de notre politique d’ouverture vers l’Afrique ».

De l’avis de tous les observateurs à l’échelle planétaire, les récentes élections présidentielle et parlementaires en Turquie ont été une démonstration de maturité du peuple turc  et de sa classe politique. Vue d’Afrique, la réélection du Raïs Recep Tayyip Erdogan sonne comme un gage de continuité de l’ancrage du pays d’Atatürk dans le Continent. Une bonne nouvelle pour la RDC dont la coopération avec la Turquie produit déjà des fruits, à l’image notamment du Centre financier de Kinshasa dont les travaux de construction avancent à pas de géant à la grande satisfaction des Congolais. Plus généralement, la reconduction de Recep Tayyip Erdogan renforce la perspective de la coopération militaire entre Ankara et Kinshasa, essentielle pour la défense de l’intégrité territoriale de la RDC. Pour se projeter dans tous ces grands enjeux liés au nouveau mandat du Président turc, Forum des As a approché l’ambassadeur de la République de Türkiye en RDC, Murat Ülkü. Interview.

La Turquie vient d’organiser des élections libres, transparentes et apaisées. Vu d’Afrique, on a envie de vous demander: quel est votre secret ?

Comme vous venez de le décrire, Dieu merci, les élections parlementaires ainsi que présidentielles se sont déroulées de façon apaisée, en dignité, en ordre. Pour les élections présidentielles, c’est la première fois dans l’histoire du pays que cela s’organise avec un second tour. C’est au second tour que le Président Erdogan a remporté la victoire.  Je dois dire qu’on a battu un record au niveau des élections présidentielles, le taux de participation était de 87% pour le premier tour et  84% pour le second. Ce sont des chiffres impressionnants, parce que comme nous le savons, à travers le monde, il y a malheureusement un déclin de la part des électorats en terme de participation. Je n’ai pas de réponse sûre à vous donner face à ce phénomène. Toutefois, il se peut que les sociétés puissent facilement être désenchantées de la politique, de la manière dont se déroulent les élections et cela n’est pas une bonne chose pour n’importe quel pays. Pour la Turquie, la tenue de ces élections était un évènement très heureux, une fête pour la démocratie non seulement pour les turcs vivant au pays, mais aussi pour ceux qui sont à l’étranger, il y a eu un engouement de la population. Il y avait une attention très accrue à l’égard du processus électoral.

Justement à quoi cela est dû?

Cela est dû tout d’abord à la conviction de chaque individu qui estime que son vote compte, c’est-à-dire qu’il y a toujours moyen de s’exprimer et d’apporter une différence ou un impact sur la manière dont le pays est dirigé. Sans cette croyance, on ne peut pas forcer les citoyens à voter et cela va de soi pour tous les pays. Aller voter dans certains pays c’est obligatoire mais ça ne change pas grande chose. Si le citoyen a cette conviction, cette croyance que son vote est précieux et que le système va garantir, respecter le choix du peuple qui sera traduit dans les résultats publiés, il ne pourra que participer massivement au scrutin. C’est un peu ce qui s’est passé chez nous, le citoyen turc a confiance en son système, en sa démocratie. Pour en arriver là cela exige aussi une maturité de la classe politique. Les élections sont une course et durant les campagnes les candidats ne se font pas de cadeau, mais si la classe politique a une maturité, lors de la proclamation des résultats on oublie tout, on félicite le gagnant et continue de travailler pour le bien du peuple. C’est le cas du Président Erdogan, le jour même de sa victoire, et de la cérémonie d’investiture il n’a cessé de souligner que maintenant que les élections sont passées, il représente les 85 millions de ses compatriotes, qu’il est le président de tous les turcs, et que c’est le moment de se rassembler, de se rallier pour faire avancer le pays. Ceci est très important. Et l’opposition de son côté l’a félicité en renforçant la continuité et la légitimité de notre démocratie. Cette maturité politique est née, je pense, si nous jetons un regard dans le passé, du point de vue historique et sociologique. Dans le passé, le peuple turc a beaucoup souffert des coups d’Etats, des tentatives d’établir une tutelle militaire. Après ces tumultes, le peuple turc a compris que la seule voix pour assurer une vie digne, sécurisée, prospère c’est la démocratie. Tout autre modèle ça n’apporte pas quelque  chose de bien pour la nation. Parmi toutes les tendances et couches politiques il y a une compréhension commune qui est que notre choix doit être toujours la démocratie sinon, si quelqu’un essaie de perturber un pays assis sur la démocratie, il aura des problèmes. C’est cette croyance, cette compréhension commune qui a mobilisé fortement le peuple turc. Bien évident, la démocratie exige que le dirigeant, l’élu aussi garanti qu’il/elle va travailler pour le peuple sans distinction, et le Président Erdogan l’a souligné très clairement, qu’il sera le président de toute la nation sans distinction. L’attachement du peuple turc à la démocratie découle aussi des ingérences  et  manipulations extérieures observées hier et aujourd’hui. Les turcs sont fort irrités par ces méthodes, ils sont fiers mais pas orgueilleux, ils sont patriotiques mais pas chauvins. On a démontré à travers la tenue de ces élections notre maturité, notre détermination à sauvegarder notre démocratie. Et cela se passe dans une région où les traditions démocratiques ne sont pas toujours très fortes.

Que peut attendre l’Afrique de la réélection du Président Erdogan ? 

Lors de la cérémonie d’investiture du Président Erdogan, beaucoup de chefs d’Etat ou représentants des pays africains ont fait le déplacement. Ils sont venus parce que les relations entre nos pays sont excellentes. Le Président Erdogan est considéré comme l’architecte de notre politique d’ouverture vers l’Afrique, si je peux le dire ainsi. Cela veut dire que notre président est personnellement engagé à approfondir notre interaction avec les peuples africains. Tout d’abord, le Président Erdogan est connu comme un politicien qui réagit fortement contre les injustices et le destin des peuples africains demeure toujours une priorité pour lui. Par exemple, en ce qui concerne sa visite de l’année dernière ici en République démocratique du Congo, c’est lui-même qui a voulu commencer son périple en Afrique par Kinshasa. Cette envie venait de lui-même de vouloir démontrer sa solidarité avec la RDC face aux difficultés que ce pays connait. Maintenant que son mandat est renouvelé, la continuité de ces rapports va se poursuivre de plus belle. Tout d’abord nous allons redoubler nos efforts pour suivre la ligne qui nous a été indiquée par Atatürk, le fondateur  de notre république,  qui est  « paix dans le pays, paix dans le monde« . Lors de son investiture le Président Erdogan a souligné: « ous allons continuer à travailler pour la paix dans le monde« . Aussi, la politique de la Turquie envers l’Afrique en général, et la RDC en particulier, va augmenter en puissance. Ce n’est pas seulement le renouvellement d’un mandat entre le président turc et son peuple mais c’est aussi avec tous ses amis en Afrique, cela va de soi. L’année dernière la visite du Chef d’Etat turc à Kinshasa était un évènement historique pendant lequel  les deux gouvernements ont renouvelé leur volonté de collaborer étroitement pour approfondir la coopération bilatérale.  Dans la période à venir, vous allez voir que la Turquie restera fermement aux cotés de la RDC.  Nous ne  ménagerons aucun effort pour apporter notre soutien à la RDC. Mais ce rapport est mutuel, ce n’est pas une relation de caractère paternaliste. On est des égaux, notre rapport est basé sur le respect réciproque.  Nous sommes heureux d’avoir comme ami la RDC, pays situé au centre de l’Afrique. C’est à travers vous que nous apprenons mieux à connaitre l’Afrique. Nous ne cherchons pas à nous imposer, mais à voir plutôt ce que nous pouvons faire ensemble. En octobre prochain, nous allons célébrer le centenaire de notre République et le leader turc a appelé son peuple à se rassembler pour  rendre ce deuxième centenaire de notre pays « Le Siècle de la Türkiye« . Cette vision ne vise pas évidemment à dominer le monde. Ça reflète plutôt le désir et la détermination d’assurer que ce deuxième siècle de notre république soit  marqué par les réussites de notre peuple, de notre pays dans tous les domaines possibles. C’est une façon de motiver, de mobiliser le peuple turc. Sans doute dans le cadre de cette vision nous resterons à cent pour cent disposés à accompagner la RDC et les autres pays africains.

Au niveau strictement bilatéral Turquie-RDC, qu’en est-il des chantiers en cours et les projets évoqués lors du passage du Président Erdogan à Kinshasa ?

La visite du Président Erdogan a été un tournant. D’ailleurs, la signature de plusieurs accords témoigne de cet évènement. Du côté des deux gouvernements, l’essentiel était de mettre en marche notre coopération militaire et sur le volet économique et commercial il y a eu des mémorandums qui ont été signés devant les deux présidents. Il est vrai que ces travaux prennent un peu de temps, nous attendons surtout le feed-back des autorités congolaises pour le démarrage de ces accords. Par exemple sur les  trois accords de coopération militaire nous attendons toujours la ratification de l’Assemblée nationale congolaise. Le gouvernement de la RDC a approuvé le décret de ratification et cela a été envoyé à l’Assemblée.  Nous attendons avec impatience cette ratification. Nous allons  aussi faire le nécessaire au côté turc pour mettre en vigueur ses trois documents qui encadrent notre coopération militaire.  Comme la coopération militaire est un champ très formel, les deux forces armées ne peuvent pas agir sans un cadre règlementaire. En ce qui concerne la formation, en ce qui concerne les dons militaires, on est un peu dépendant de ce processus légal qui prend du temps. Toutefois en attendant la finalité de ces accords, nous avons envoyé des matériels de soutien aux FARDC, les contacts continuent. Par exemple nous avons eu des équipes à Likasi où nous allons établir une usine de munitions. Cela permettra de donner une autonomie stratégique aux FARDC, mais ça va permettre également de booster l’économie  non seulement de la ville de Likasi dans le Haut-Katanga, mais de la RDC. Car, à long terme, si la RDC fabrique des munitions, elle pourra aussi devenir exportatrice de ces munitions vers les pays amis à des prix préférentiels. C’est ce modèle de coopération que nous favorisons. Si la RDC doit renforcer sa sécurité nationale, c’est à elle qu’incombe ce devoir et à personne d’autres. Nous désirons que notre coopération soit un appui  dans cette direction. Si par exemple on a des élèves congolais au sein des Académies de guerre en Turquie, à leur retour au Congo ils pourraient former d’autres élèves et cela aura un impact sur les capacités des FARDC, comme la Turquie possède une des meilleures armées au sein de l’Otan et de plus nous menons un combat réel sur le terrain contre les terroristes séparatistes. Ça veut dire que nos connaissances ne sont pas théoriques mais pratiques, c’est ce qui est le plus précieux dans le combat contre les menaces asymétriques. En ce qui concerne les choix offerts par notre industrie de la défense,  les prérogatives reviennent au gouvernement congolais de choisir avec qui ils veulent travailler, nous ne pouvons pas les obliger. Mais nous encourageons notre partenariat. Au mois de juillet, il y aura la Foire militaire internationale en Turquie et nous avons invité les autorités congolaises à y participer et découvrir l’industrie de la défense turque qui est du point de vue prix et qualité presque sans rival.

Autre aspect concret de la coopération?

Il y a le Centre financier de Kinshasa qui est sorti de terre et le Premier Ministre Sama Lukonde, lors d’une visite d’inspection, était impressionné par la vitesse des travaux parce qu’en un an, l’essentiel était  presque finit. Il sera probablement inauguré début décembre Inch’Allah (si Dieu le veut). Il deviendra le cœur de Kinshasa et apportera un nouveau vent de modernité, de progrès. Cela va sûrement encourager, je pense, plusieurs autres entrepreneurs à venir à Kinshasa. Il y a aussi les pourparlers qui ont commencé pour l’aéroport de N’djili, ça sera la construction d’un nouvel aéroport. Une entreprise turque a déjà présenté un projet détaillé au gouvernement congolais qui comprend plusieurs éléments, non seulement l’aéroport mais aussi les autres composantes notamment un hôtel et une route express qui va lier l’aéroport au centre-ville. Comme propulsion économique de la RDC exigera des investissements étrangers ça commence par la qualité de vie. Si une entreprise étrangère doit s’installer ici il faut avoir ces infrastructures modernes. Il y a aussi ce projet de transport fluvial, je pense qu’il est révolutionnaire parce que même pour aller à Brazza à ce jour, ce n’est pas toujours évident. Il faut bénéficier du fleuve Congo qui est un grand atout pour ce beau pays. Mais jusqu’ici, nous voyons que ça n’a pas été utilisé proprement aussi bien pour les passagers mais aussi pour les commodités. Le projet ne consiste pas seulement en quelques  bateaux et un terminal, mais en un grand système intégré de transport. Il y a aussi des projets sur l’assainissement, l’agriculture en cours de négociation. Je demande aux entrepreneurs turcs de prendre leur mal en patience car la  façon de paiement ici est un processus plutôt compliqué. Selon l’expérience turque, la RDC se lance vers de meilleurs jours et cet avenir brillant va venir avec des dispositifs nécessaires sur le plan économique. C’est d’attirer des investissements tout d’abord et deuxièmement c’est d’augmenter les recettes des exportations. Autrement dit, c’est toujours chercher comment trouver la valeur ajoutée dans les exportations. Par exemple, la serriculture est important parce qu’on sera capable de cultiver des légumes, des fruits qui normalement ne peuvent être cultivés en RDC mais qui pourrait être exporté à l’étranger pour des prix considérables. C’est une porte d’entrée des devises pour le pays à travers ce modèle. Nous travaillons y dessus. Il est aussi important de mettre sur pied l’agriculture mécanisée, avec la récente pénurie de maïs qui a frappé la RDC, une agriculture mécanisée permettra de résoudre le problème. Actuellement en Turquie nous fabriquons des matériels efficaces dans ce domaine qui pourraient répondre aux besoins de la RDC. Bientôt des équipes turques vont visiter la RDC pour aborder ce thème.

Comment évaluez-vous la qualité de l’enseignement à l’école Maarif depuis que l’Etat turc a repris les choses en main ?

Grâce au soutien très dynamique du gouvernement congolais, le courant terroriste « FETO » a pu être repoussé, cela a été une réussite. La coopération entre nos deux pays est parvenue à mettre fin à ce courant et dès lors l’école Maarif est devenue une histoire de réussite, parmi les meilleures en taux de réussite aux examens d’Etat. La Fondation Maarif est répandue dans les pays africains. C’est devenu une composante de la présence de la Turquie Afrique comme le Turkish Airlines et la TIKA.

Dans tout ça, quel sera l’impact du double séisme de début février sur la coopération?

Concernant l’impact des séismes, si je vous dis cela n’aura pas d’impact cette année ça ne sera pas honnête de ma part. Nous avons subi la plus grande calamité de notre histoire. Alors, cette année il pourra avoir une petite diminution mais pas une rupture totale  parce que il y a déjà des budgets qui ont été programmés. Ça n’affecte pas les  activités déjà programmées mais disons que par exemple pour la tabaski, il y a toujours des rescapés qui attendent un coup de main en Turquie. Peut-être que les ONG turques en particulier actives en Afrique seront obligées de concentrer leurs ressources vers leurs ressortissants démunis. Donc, cet impact pourrait se ressentir en 2023 plutôt de la part des  ONG turcs plutôt que notre gouvernement. Le Président Erdogan, après le séisme a annoncé très vite les plans de rétablissement, de reconstruction non seulement des infrastructures mais aussi les logements sociaux dans les régions sinistrées. Dans son discours d’investiture il a remercié les rescapés car il a reçu beaucoup de votes dans les zones impactées par la catastrophe. Ça veut dire que  les citoyens dans ces zones ont renouvelé leur confiance en le Président Erdogan car il avait immédiatement établi des plans, les projets pour reconstruire ces zones. En bref l’impact sera seulement temporaire. A long terme rien ne va changer. A travers votre journal, j’en profite pour lancer un message à mes frères et sœurs en RFC: « la Turquie n’est pas un partenaire temporaire, elle restera à vos côtés, continuera à vous accompagner« . Cette relation de fraternité entre nos deux peuples, c’est quelque chose que nous devons continuer à sauvegarder et renforcer. C’est une torche que nous devons passer aux générations à venir. Nous travaillons sans arrêt pour trouver les meilleures moyens d’enrichir notre partenariat.

Propos recueillis par José NAWEJ et par Fyfy Solange TANGAMU

Laisser un commentaire

Suivez-nous sur Twitter