Troisième Législature de la Troisième République
Motion d’information
Honorable Président,
Honorables Membres du Bureau,
Estimés collègues, Membres de la Chambre Haute,
Je prends la parole, ce jour, par motion d’information, conformément aux dispositions de l’article 94, al. 4 de notre règlement intérieur, pour partager, avec notre Chambre et avec la population qui nous suit, des éléments d’informations particulièrement préoccupantes relatives au traitement singulier infligé à une grande entreprise minière installée dans la province du Lualaba, à savoir la Sino-Congolaise des Mines (Sicomines).
Depuis, le 17 février 2023, une campagne médiatique tonitruante jette le discrédit sur le contrat chinois, crie au non-respect de la législation fiscale et réclame toutes affaires cessantes des millions si pas des milliards de dollars en guise de compensation, pour utiliser un mot neutre.
Si c’étaient seulement des incantations médiatiques, je ne me serais sans doute pas levé pour venir solliciter un temps de parole ; mais, il y a plus, et il y a pire : une première mesure interdisant à la Sicomines de procéder aux dédouanements de ses importations, et une seconde procédant au blocage des comptes bancaires de cette entreprise. Le lundi dernier, le représentant Syndical de la Sicomines a été reçu au bureau du Sénat : il était venu transmettre les doléances des travailleurs éplorés. Aux dernières nouvelles, les salaires ne seraient toujours pas payés.
Dans l’entre-temps, au Lualaba, la situation demeure incandescente, car les mesures conservatoires infligées à l’entreprise auront à terme des conséquences qui entacheront pour des années tous nos discours sur l’amélioration du climat des affaires et refroidiront certainement de nombreux investisseurs.
Permettez-moi de relever quelques problèmes (pour ne pas dire des incongruités) qui ressortent de la gestion du dossier Sicomines :
1. Des confusions dans les chiffres :
– Les fonds affectés à la réalisation des infrastructures s’élèvent à plus Usd 1 milliard (1.006) sur une calculatrice électronique, mais l’on se contente de brandir à qui mieux mieux 822 millions sur une règle à calcul ;
– Aucune mention n’est faite de Usd 656 millions affectés à la construction du barrage de Busanga ;
– Lorsqu’on déclare que l’entreprise a généré 7 ou 10 milliards, s’agit-il du chiffre d’affaire ou des bénéfices ?
– Il est fait état aujourd’hui d’une enveloppe de Usd 500 millions qui aurait été acquise à la suite d’un récent audit, alors qu’il s’agit des fonds sollicités et obtenus auprès de la Sicomines lors de l’élaboration du budget de 2021 (Usd 150 millions) et de 2022 (Usd 350 millions). Le Gouvernement avait refusé de signer les PV par lesquels la Sicomines déclarait mettre ces montants à la disposition de l’Etat pour le développement des Territoires et des provinces (suite à une demande initiée par le Sénat).
2. La recherche de boucs émissaires
– Qui doit répondre du fait que certaines infrastructures signalées dans le contrat, n’aient pas été réalisées : la partie chinoise ou la partie congolaise ?
– Qui doit répondre du fait que le nombre des dossiers sur les infrastructures à réaliser soit si faible ?
– Peut-on affirmer sincèrement que l’on est sérieux lorsqu’on s’étonne de voir des montants plus élevés affectés au projet minier plutôt qu’à celui des infrastructures 5 milliards contre 1 miliard ?
– Comment peut-on comprendre que ceux qui disaient avoir lu le contrat querellé découvrent enfin aujourd’hui, grâce à l’intervention du Président de la République, que la solution aux différends passait par un dialogue autour d’une table, et non pas par un combat des gladiateurs, au vélodrome de Kintambo ?
3. L’imbroglio autour des exonérations douanières :
– Les sommes non versées sont convertibles en titres que l’Etat peut faire valoir comme étant sa contribution au financement ;
– Que deviennent ces titres et où sont-ils ?
– Comment peut-on s’imaginer que l’on puisse contraindre la Sicomines à payer les taxes douanières sans avoir révisité préalablement les termes du contrat ; faire chanter le partenaire à ce sujet, c’est détruire irrémédiablement la confiance de tous les investisseurs du monde ;
– Si la Sicomines commence à payer la douane, les fonds qui y seront affectés, seront aussi repris au titre de la dette due à Exim Bank China, à rembourser avec les intérêts connus.
4. Réalisations et visibilité des infrastructures
Nous avons connu des compatriotes plus incrédules que saint Thomas, et qui s’indignaient en 2010 en ces termes : tokolia nzela ? Aujourd’hui, les mêmes prétendent ne pas voir des réalisations du contrat chinois; et ils sont aisément reconnaissables par ce temps de carême, car ils affichent chaque jour, un visage de vendredi saint, très renfrogné.
Ils ne verront jamais ni :
– Centrale hydro-électrique de Zongo II, lignes et réseaux associés ;
– Barrage de Busanga au Lualaba ;
– Blvd du 30 juin à Kinshasa ;
– Blvd Triomphal à Kinshasa ;
– Avenue de la Libération à Kinshasa ;
– Avenue de la Démocratie à Kinshasa (ex-Huileries) ;
– Blvd Lumumba à Kalemie ;
– Esplanade du Palais du Peuple à Kinshasa ;
– Hôpital du Cinquantenaire à Kinshasa ;
– Route Lutendele à Kinshasa ;
– Pont Lutendele à Kinshasa ;
– Av. Tourisme à Kinshasa ;
– Rte Lubumbashi – Kasomeno ;
– Blbd Lumumba à Kalemie ;
– Stade de Bukavu ;
– Route de Butembo ;
– Route Kanina – Musonoi – Kapata à Kolwezi ;
– 7.292 emplois (dont 2.176 chez Sicomines et 5.116 chez les sous-traitants)
– Usd 1.006 milliards dans les infrastructures
– Usd 656 millions dans la Centrale hydro-électrique de Busanga ;
– Usd 138.145.760 dans la construction de la mine écologique
– Etc.
5. Que devons-nous attendre des négociations
– Recouvrer un peu de dignité, de crédibilité, de sens des engagements : ubuntu, tala sima zonga moto ;
– Exiger 5 à 10 milliards, sans déposer le moindre dossier, c’est se mettre gratuitement dzans le collimateur de toutes les suspicions ;
– Crier à la surfacturation sans en avancer la moindre preuve, hormis un chapelet de suspicions, c’est se décrédibiliser : il faut se référer à des cabinets d’audit certifiés et reconnus, c’est alors et alors seulement que nous y verrons un peu plus clair ;
– Les proportions des parts sociales sont fonction d’abord des apports en capitaux frais ; la majorité des parts revient ceux qui mobilisent les plus de fonds auprès des banques. Croire qu’on puisse remonter nos parts tout en exigeant le paiement des frais douaniers, c’est serait quand même hasardeux et problématique ;
6. Mettre à genou Sicomines et enterrer TFM, c’est chercher à tuer le pays.
Mon grand-père disait : «celui qui veut tuer quelqu’un commence par tuer sa réputation».
Si l’on pourrait encore éviter le scandale en gérant convenablement le dossier Sicomines, ce n’est peut-être plus le cas en ce qui concerne Tenke Fungurume Mining.
Cette entreprise fit l’objet d’un item à l’édition de l’Examen d’Etat en 1973. Pour certains de nos collègues, leurs parents n’étaient même pas encore mariés à cette époque-là.
Suite à un différend portant sur le mode d’évaluation et le mode de calcul des réserves, un administrateur a été désigné par le Tribunal de Commerce pour procéder à la conciliation.
L’administrateur a décidé de suspendre les activités de commercialisation et d’exportation des produits miniers depuis juin – juillet 2022. A ce jour, plus de 180.000 tonnes de plaques de cuivre sont entassées à Fungurume et les travaux de la nouvelle usine d’électrolyse en cours de montage sont à l’arrêt.
Plus de 7.000 travailleurs sont en train de prendre le chemin du chômage; et pour la province du Lualaba, c’est une catastrophe, quand on considère les trois principales taxes payées à l’exportation, lesquelles représentent une Contribution de 28% des ressources mensuelles de la province :
– Voirie (Taxe conventionnelle de réhabilitation de la voirie) ;
– Concentrés (taxe d’incitation) ;
– Redevance minière.
Le manque à gagner que connaît la province du Lualaba, est une perte sèche, étant donné que cette somme n’est pas due à la province (non répertoriée comme dette) et qu’elle ne constitue pas des arriérés de paiement. TFM n’ayant pas exporté durant toute cette période. C’est simplement un manque à gagner du fait de cette interdiction d’export. Et dire que cette somme aurait pu financer entièrement 35% des engagements de la province dans les infrastructures à ce jour.
Les électeurs du Lualaba sont au courant de tout cela, et nous les exhortons à expliquer cela à tous leurs dépendants qui sont en dehors de notre province, afin qu’ils sachent pourquoi ils ne reçoivent plus d’aides ni d’interventions financières. Ne soyons pas surpris que toute cette chaîne exprime sa colère lorsque sonnera l’heure des scrutins.
Quand je me rends compte que, de Juillet 2022 à mars 2023, 9 mois se sont déjà écoulés, je me mets aussi en colère : des enfants seraient en train de naître dans le bonheur et des bananiers seraient en train de fournir de bons régimes. Malheureusement, depuis 9 mois, c’est le désarroi qui s’installe progressivement au Lualaba, dans cette province dont la vocation naturelle a toujours été de nous inviter à répondre à l’appel du bonheur.
7. Nous demandons très peu de choses
Ø il faut lever la mesure d’interdiction des opérations de dédouanement des importations de Sicomines ;
Ø il faut lever la mesure d’interdiction de commercialisation et d’exportation des produits de TFM ;
Ø il faut aller négocier avec des arguments forts, sans faire du chantage et sans se faire hara kiri ;
Ø il n’est pas besoin d’arrêter une entreprise au motif qu’on aimerait connaître les auteurs des surfacturation;
Ø il n’est pas non plus nécessaire d’arrêter une entreprise parce qu’on ne parvient pas à trouver les indications sur les bonnes pratiques en matière d’évaluation des réserves minières ;
Ø puisqu’il y a une commission ou des commissions qui siègent au niveau de la présidence, il serait indiqué que nos recommandations leur parviennent, car point n’est besoin d’inviter encore ici tel ou tel ministre qui avait déjà déclaré que les Territoires et les Provinces ne disposaient guère de capacité pour monter et suivre des projets, ni tel autre qui avait autorisé la cession à un groupe étranger des droits d’exploitation sur des concessions Gécamines déjà attribuées l’Entreprise Générale de Cobalt, une filiale GCM.
Honorable Président,
Je terminerai mon intervention en rappelant que notre pays doit rester ouvert aux apports de divers investisseurs, sans développer des préjugés idéologiques ou raciaux à l’endroit des uns ou des autres.
A Kolwezi, les chinois, les américains, les européens, les australiens, les indiens, les ivoiriens, les sud-africains, les zimbabwéens et bien d’autres nationalités travaillent côte à côte. Ne transposons pas sur notre territoire des conflits d’intérêts qui ne nous concernent pas.
J’ai dit et je vous remercie.
Kinshasa, le 1er avril 2023.-
Professeur KAUMBA Lufunda
Honorable Sénateur élu de la Province du Lualaba