Kwamouth : le conflit Teke-Yaka fait au moins 300 morts entre juin 2022 et mars 2023

* « Le Gouvernement n’a pas renforcé les effectifs des forces de sécurité provinciales, pourtant débordées, avant le mois de septembre 2022 », précise l’ONG.

Les cycles d’attaques et de représailles ont causé la mort d’au moins 300 personnes à Kwamouth et ses environs dans la province de Mai-Ndombe. Telle est la substance du rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) publié hier jeudi 30 mars. Ces violences, soutient cette organisation internationale de défense des droits de l’homme, sont consécutives à un litige de 2022 sur une redevance foncière coutumière a déclenché des tueries de centaines de personnes.

ORIGINE DES VIOLENCES

Dans son rapport, HRW rappelle que «les tensions étaient palpables au sujet de cette taxe coutumière tout au long de l’année 2021, mais ont culminé en février 2022 quand les chefs teke ont annoncé une augmentation de son montant, à laquelle de nombreux fermiers se sont opposée». L’ONG affirme avoir reçu des informations crédibles selon lesquelles les chefs teke ont ensuite tenté de prélever la redevance de force.

«Le 9 juin, renseigne ledit rapport, un groupe de fermiers, principalement issus des communautés Yaka et Mbala, s’est rassemblé devant la maison d’un chef teke dans le village de Masia Mbe en signe de protestation et aurait jeté des pierres sur le bâtiment. Le frère du chef a ouvert le feu avec un fusil de chasse et tué l’un des fermiers. Le lendemain, des dizaines de villageois, principalement Yaka, ont pris d’assaut Masia Mbe, incendiant des maisons et pillant le village».

Les jours qui ont suivi, poursuit le rapport, une série d’attaques meurtrières et de représailles ont forcé plusieurs milliers de personnes à fuir leurs maisons. «Dès la fin du mois de juin, des membres de la communauté Yaka se sont organisés en groupes, appelés Mobondo en référence à des fétiches. Armés de machettes, de couteaux, de lances, d’arcs et de flèches, de fusils de chasse et de quelques fusils d’assaut militaires, ils ont attaqué et tué des dizaines de villageois teke, selon plusieurs témoins. Ils ont mené des raids sur plusieurs villages et en ont incendié des maisons», peut-on lire dans ce rapport.

Le cas d’une femme de 30 ans qui a survécu à l’attaque du village de Fadiaka en septembre 2022 et qui a déclaré à HRW que de nombreux assaillants s’étaient peint le visage en noir et avaient des bandes rouges autour de la tête. «Elle a indiqué qu’ils s’étaient d’abord rendus à la maison du chef teke et l’avaient abattu à l’arme à feu. Un assaillant connu sous le nom d’Américain est venu lui couper la tête. Ils ont brûlé son corps avec un vieux pneu ; ils ont pris sa tête et sont partis avec», relate la rescapée dans le rapport de HRW.

AFFAIRE MENTIONNEE DANS UN RAPPORT DE L’EGLISE CATHOLIQUE

     HRW indique qu’en octobre 2022, l’Église catholique a fait mention dans un rapport que les assaillants avaient alors cessé de protester contre la redevance coutumière mais qu’ils cherchaient à «récupérer les terres du plateau des Bateke». «À partir du mois de septembre, la violence s’est étendue à la province voisine du Kwilu et, en octobre, elle a atteint la périphérie de Kinshasa», rappelle l’ONG.  

HRW est convaincu que «certains villageois teke ont pris part à l’éruption initiale des violences, ciblant les Yaka ainsi que leurs magasins et leurs maisons». Toutefois, précise-t-il, les assaillants Mobondo ont rapidement pris le dessus. «Plusieurs survivants et témoins ont déclaré que les assaillants rassemblaient les villageois et leur demandaient d’indiquer à quel groupe ethnique ils appartenaient, et qu’ils ciblaient les Teke et ceux qui étaient perçus comme ayant des liens avec eux», rapporte l’ONG.

MENER UN ENQUËTE complète

D’après l’ONG, «le Gouvernement n’a pas renforcé les effectifs des forces de sécurité provinciales, pourtant débordées, avant le mois de septembre 2022, et n’a pas fourni une aide adéquate aux plus de 50.000 personnes déplacées par les violences ». HRW précise que «les autorités devraient mener une enquête complète et impartiale sur les tueries, traduire les responsables en justice et faciliter l’accès à l’aide humanitaire pour ceux qui en ont besoin».

Pour HRW, il est clair que «les autorités congolaises devraient prendre d’urgence les mesures nécessaires pour protéger les civils dans l’Ouest du pays contre de nouvelles attaques et faire respecter l’état de droit», a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la RDC à HRW. Et d’ajouter qu’«Il est crucial de traduire en justice les responsables des violences meurtrières à Kwamouth et de répondre aux griefs sous-jacents».

L’ONG appelle le Gouvernement à développer une stratégie à long terme pour renforcer la sécurité dans le territoire de Kwamouth et autour de celui-ci. «Le Gouvernement, avec l’aide internationale, devrait fournir l’aide humanitaire, les soins de santé ainsi que le soutien psychosocial et la santé mentale nécessaires aux personnes qui en ont besoin», recommande HRW.

APPEL A UNE ENQUETE

Au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, HRW demande une enquête sur les tueries, ainsi que sur les autres abus présumés, et soutenir le Gouvernement congolais en lui apportant un appui technique, notamment médico-légal. «Le procureur militaire devrait transférer devant les tribunaux civils les dossiers qui les concernent, conformément aux recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies selon lesquelles les civils ne devraient être jugés par des tribunaux militaires que dans des circonstances exceptionnelles et uniquement dans des conditions qui garantissent véritablement une procédure régulière», souhaite l’ONG.

Les conclusions de HRW s’appuient sur des missions de recherche dans les villes de Bandundu et Maluku (à Kinshasa), menées respectivement en novembre et en décembre derniers, ainsi que sur des entretiens conduits en personne et par téléphone à Kinshasa. L’ONG dit s’être entretenue avec 70 personnes, parmi lesquelles 31 survivants et témoins des attaques, des proches des victimes, des responsables judiciaires, des avocats, des travailleurs humanitaires, des activistes de la société civile, des chefs religieux, des députés provinciaux et nationaux, des membres des forces de sécurité et du personnel des Nations Unies, ainsi que des responsables provinciaux et nationaux.        Rachidi MABANDU

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