Le cardinal Ambongo, l’homme fort de la RDC

À l’occasion du prochain voyage du pape en République démocratique du Congo (RDC), retour sur la personnalité du cardinal Fridolin Ambongo. Défenseur de l’État de droit en RDC, il est aussi membre du très resserré Conseil des cardinaux qui souffle à l’oreille du Pape François dans sa réforme de la Curie romaine. L’homme au physique impressionnant, créé cardinal à seulement 59 ans, est devenu une figure de premier plan dans le paysage de l’Église universelle.

La venue du pape François dans son archidiocèse de Kinshasa, 38 ans après celle de Jean Paul II, placera la RDC sous les projecteurs des médias du monde entier. Un succès pour ce cardinal devenu l’une de rares personnalités congolaises capables de trouver des relais à l’international pour dénoncer le chaos qui règne dans de nombreuses régions du pays.

« Il est venu dans les zones reculées de mon diocèse pour mesurer l’étendue des massacres puis il est retourné à Kinshasa pour raconter tout haut les situations inacceptables que nous vivons« , se souvient Mgr Melchisédech Sikuli, évêque de Butembo-Beni, un territoire situé dans l’Est de la RDC, dans le Nord-Kivu. « C’est une figure majeure pour nous, quelqu’un qui sait parler et qui connaît la réalité« , abonde-t-il.

La nomination en 2020 du haut prélat congolais dans le « C8 » du pape François fut un signe évident de la confiance du pontife argentin pour cet homme qui porte vigoureusement la voix de son peuple meurtri par la misère – l’ancienne colonie belge était classée 175ème sur 189 par l’indice 2020 de développement humain du programme des Nations unies pour le développement. Seul représentant africain et seul francophone à y être présent, le cardinal Ambongo y a pris la place laissée vacante par son prédécesseur à Kinshasa, le cardinal Monsengwo, décédé en 2021.

Personnalité au franc-parler redouté par bon nombre de figures politiques, le cardinal africain est entré en 1981 chez les frères mineurs capucins et y a fait sa profession perpétuelle six ans plus tard. Ordonné prêtre en 1988, il a soutenu une thèse à l’Académie alphonsine de Rome sur le thème: « La réhabilitation de l’humain, base de développement vrai au Zaïre. Pour une éthique de développement intégral. »Un concept qui deviendra prépondérant sous le pontificat de François, qui ira même jusqu’à forger un « super dicastère » pour le « Service du développement humain intégral« .

En 2004, le pape Jean Paul II le nomme évêque à l’âge de 44 ans. Certains le surnomment alors « l’évêque à moto » puisqu’il sillonne de long en large son diocèse de Bokungu-Ikela avec son deux-roues. Il s’investit dans les années 2010 dans la commission « Justice et paix » de la Conférence épiscopale congolaise, très influente en RDC.

Début 2018, il est appelé pour être évêque coadjuteur de Kinshasa dans le but d’épauler le puissant cardinal Monsengwo, alors sur le départ, et se préparer à prendre sa suite. En novembre de la même année, il est installé archevêque de la capitale. Le pape François l’élève un an plus tard à la dignité de cardinal lors du consistoire d’octobre 2019. Il devient le quatrième cardinal du Congo depuis l’indépendance, après les cardinaux Malula, Etsou et Monsengwo. Il confie alors sa « surprise » et considère la décision du pape comme un encouragement de l’Église à poursuivre sa mission de pasteur qui « donne la voix à un peuple sans voix« .

Car ce fils de saigneur d’arbre à caoutchouc a très tôt fait des questions de justice sa matrice. Dans un pays marqué par la misère sociale, économique et écologique, ce théologien moraliste s’est illustré par son combat contre une caste politique qui, avec les puissances économiques internationales, capte les richesses naturelles du pays. « Le Congo est tombé dans les mains de brigands« , accuse-t-il en ce sens lors de la Nuit des Témoins 2019 organisée par l’Aide à l’Église en détresse, à Paris.

Plutôt que de se mettre du côté des « prédateurs » qui exploitent le pays, « l’Église a choisi de se mettre aux côtés de son peuple« , explique alors le haut-prélat, dans le sillage de la pensée du pape François. Un discours qui manifeste une réalité en RDC puisque l’Église catholique supplée les carences de l’État. La moitié des structures sanitaires et éducatives du pays sont ainsi gérées par elle.

Un cardinal « redoutablement intelligent et qui aime la politique »

Solide opposant au régime de Kabila, président du Congo de 2001 à 2019, il se jette dans la bataille pour une transition démocratique alors que ce dernier veut briguer un troisième mandat, ce que la constitution interdit. Réputé pour sa fermeté, il est l’un des acteurs, avec la commission Justice et Paix, des accords de la Saint-Sylvestre du 31 décembre 2016, qui organisent la transition politique et la tenue d’une élection présidentielle sans Joseph Kabila. Celle-ci a finalement lieu à la fin de l’année 2018. Mais tout ne se passe pas comme l’Église l’aurait souhaité.

Dans un premier temps, l’institution catholique, qui a déployé 40.000 observateurs pour contrôler le bon déroulement du vote, ne reconnaît pas l’élection de Félix Tshisekedi au poste de président, assurant que le vainqueur véritable est Martin Fayulu. L’archevêque de Kinshasa condamne un « déni de vérité » et considère que Kabila a désigné Félix Tshisekedi comme son successeur, bien qu’il fût auparavant un rival.

Voyant les grandes puissances occidentales reconnaître Félix Tshisekedi, lui et les évêques de RDC se voient obligés de travailler avec ce nouveau pouvoir. Le cardinal Ambongo refusera toutefois de se rendre à son investiture. Au magazine L’Express, il s’expliquera : « Je ne peux pas d’un côté dire que les élections sont truquées, et de l’autre parader devant mes concitoyens comme si je cautionnais ce qui vient d’être fait. Depuis lors, la conférence épiscopale a noué le dialogue avec le président de la République. Il est là, nous devons faire avec lui. »

Amer après cette transition ratée, il admet finalement le besoin de soutenir Félix Tshisekedi et de l’aider dans son gouvernement tout en justifiant la nécessité pour l’Église de se dresser comme un contre-pouvoir. Seulement un an après cet épisode politique, le nouveau président congolais est en visite au Vatican pour rencontrer le pape François et sceller un accord-cadre avec le Saint-Siège qui reconnaît le statut de l’Église dans les domaines sociaux, sanitaires, éducatifs, financiers ou encore pastoraux. « Depuis des années, l’Église catholique a joué un rôle prépondérant dans la vie politique, sociale et culturelle. En signant cet accord-cadre, je pense que c’est symbolique de ce que désormais seront les relations entre l’Eglise catholique et l’État congolais« , se félicite alors le nouveau président au micro de Radio Vatican.

« Le cardinal Ambongo veut tenir une image haute de l’Église sentinelle, au milieu du village, sans parti pris mais qui dénonce ce qui ne va pas, de toute part« , décrypte un prêtre jésuite de RDC qui n’hésite pas à l’insérer dans cette « tradition de grands cardinaux africains défenseurs du peuple : Tumi au Cameroun, Sarah en Guinée, etc. »

« C’est un chef né, qui a une autorité naturelle spectaculaire, quelqu’un de redoutablement intelligent et qui aime la politique« , confie un diplomate qui le range aussi dans la catégorie des Monswengo et autres grandes figures de l’Église en Afrique. Si ce fin connaisseur souligne que le cardinal peut être parfois « abrasif par certains aspects« , le diplomate est catégorique : « Si vous aviez à la place un « Yes man », ce serait la catastrophe. »

L’inculturation du catholicisme en Afrique

Sur la question de l’Église en RDC, le cardinal, classé conservateur sur le plan de la Doctrine comme la plupart des prélats africains, entend poursuivre la réforme visant à cultiver la spécificité du catholicisme africain, encore très imprégné par la culture ecclésiale importée par les missionnaires européens. Pour lui, être un bon chrétien en RDC signifie être un bon Africain, et vice versa. Lors du synode sur l’Amazonie en 2019, il parle d’ailleurs du rite zaïrois comme d’un fruit de « l’inculturation » de l’Évangile en Afrique. Cette liturgie, rendue possible par le Concile Vatican II, a été élaborée après deux décennies de travail et de dialogue entre Rome et l’épiscopat zaïrois. Une réalisation unique dans l’Église catholique depuis Vatican II.

Un autre combat mené par ce disciple de saint François d’Assise est la sauvegarde de l’environnement. Le cardinal Ambongo s’inquiète de l’exploitation effrénée des ressources forestières et minières dans son pays et n’hésite pas à dénoncer les pratiques de grandes sociétés internationales. « Les multinationales peuvent être un facteur important de développement lorsqu’elles respectent les droits humains et les standards environnementaux, mais elles peuvent aussi contribuer à la misère des populations affectées« , écrit-il en 2020 dans un message de soutien à une action suisse intitulée « pour des multinationales responsables ». Il y souligne la « dette écologique » de ces structures qui « font en dehors de leurs pays ce qu’on ne leur permet pas de faire chez elles« .

Ce combat, le cardinal vient en rendre compte jusqu’au Vatican. En décembre dernier, lors de la dernière réunion du Conseil des cardinaux de l’année 2022, le cardinal Ambongo était par exemple revenu sur les travaux de la COP27 en Égypte.

Au final, ce voyage du pape François sera l’occasion de renforcer la stature nationale et internationale du cardinal qui fêtera ses 63 ans le 24 janvier, et qui reste encore très jeune comparé à la moyenne d’âge des cardinaux électeurs, aujourd’hui de 72 ans. « Il est sans conteste une grande personnalité africaine… Qui sait universelle« , glisse une source diplomatique. Par Hugues Lefèvre

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