(Jean Pierre Kambila Kankwende, Ancien élève du Collège des Hautes Etudes de Stratégie et de Défense (CHESD)- Kinshasa RDCongo)
Une suggestion attribuée à l’honorable Vital Kamerhe a récemment enflammé les milieux politiques et médiatiques de la RDC. Des journalistes connus, des politiciens de haut rang et des intellectuels reconnus se sont exprimé sur ce sujet délicat. De ces discours multiformes entendus ou lus, il apparait qu’en RDC, l’unanimité est loin d’être faite sur la question de la guerre à l’Est de notre pays et des moyens d’y mettre un terme. Une question taraude encore tous les esprits : faut-il négocier ou faire la guerre ?
Le porte-parole du gouvernement a fixé l’opinion quant au refus de la RDC de négocier tant qu’une fraction de notre pays sera occupée. Cette sage position ne devrait pas nous empêcher d’approfondir la réfléxion et de débattre. En effet, il importe de bien fixer les idées, étant donné que ni la géographie, ni les convictions profondes de nos voisins n’ont évolué.
De quoi s’agit-il ?
Après sa tournée » Amani » dans les provinces de l’Est de la République, le pèlerin de la paix, le président honoraire de l’Assemblée nationale, Monsieur Vital Kamerhe, a communiqué à la Nation son intention de réserver la primeur de son rapport à Son Excellence Monsieur le Président de la République. Cependant, alors que ni le Chef de l’Etat, ni lui-même, le président de l’UNC n’ont encore révélé le contenu dudit rapport, chacun a pu découvrir, tant dans la presse professionnelle écrite que parlée, ainsi que dans les réseaux sociaux, une suggestion de dialogue qualifié de franc et sincère entre la RD Congo, le Rwanda et l’Ouganda. De plus, Monsieur Michel Moto Muhima, Directeur de communication du président de l’UNC, a publié un communiqué qui, me semble-t-il, dévoile l’esprit du rapport que la République attend.
Par ailleurs, le député de l’UNC, Juvénal Munubo, un très proche de Vital Kamerhe est, au travers de différents tweets, revenu avec insistance sur le cœur de la proposition de Vital Kamerhe, qui réside dans la notion de « négociation franche et sincère » avec le Rwanda.
Bien plus précisément, plusieurs vidéos du Président de l’UNC indiquent que le plan en préparation présente trois volets : militaire, politique et diplomatique. Ces enregistrements laissent également apparaitre que la négociation avec nos voisins demeure la clef de voîte de la suggestion.
Malgré tout, étant donné qu’aucune copie d’un communiqué officiel, émanant de l’honorable Kamerhe lui-même n’est passée entre nos mains, il serait souhaitable de se montrer très circonspect, voire réservé, mais néanmoins rigoureux dans l’analyse de la proposition de l’homme de l’UNC.
Les premières réactions
Globalement, sans avoir effectué un quelconque sondage à caractère scientifique, chacun peut affirmer, sans grand risque d’être contredit, que la proposition du président de l’UNC est, pour le moins, controversée. Les réactions pouvaient-elles être différentes vu le caractère complexe, récurrent, voire tentaculaire de nos relations conflictuelles avec nos voisins de l’Est ?
Comme beaucoup d’autres compatriotes, je me suis publiquement posé la question de savoir si nous étions encore au stade de rechercher une négociation ou un dialogue pouvant être qualifié de sincère avec un pays qui occupe une portion stratégiquement importante de notre pays ; et qui en plus, selon les dires télévisés de Son Excellence Monsieur le Président de la République, avait tenté de soudoyer un de nos généraux pour permettre l’élargissement de la zone occupée jusqu’à Goma. Or, personne n’ignore l’importance symbolique que cette ville martyre représente pour nous autres patriotes congolais.
Un autre compatriote s’interrogeait dans un tweet très partagé, sur ce que la République Démocratique du Congo pouvait encore faire après les incontestables efforts d’ouverture et de rapprochement du Président Felix Tshisekedi et les concessions préalablement acceptées par l’ancien Chef de l’Etat Joseph Kabila suivant les dispositions admises lors de la Conférence de Sun City ?
Le brillant journaliste Thierry Kambundi, de la radio TOP CONGO, se posait les mêmes questions lors d’une émission, le lundi 10 octobre, en évoquant les accords, les facilités et les contrats signés entre la RDC et ses voisins Rwandais et Ougandais autant par Joseph Kabila que par Felix Tshisekedi.
Et pourtant. Oui, la proposition que nous attendons, et dont nous avons déjà reçu quelques bribes jugées essentielles, ne saurait être négligée. Elle ne viendrait pas de n’importe qui ! Vital Kamerhe est assurément une des personnalités politiques congolaises qui connait le mieux l’Est de la RDC, tant dans son histoire, sa composition sociologique, ses composantes politiques, ses contradictions, ses atouts, et sur bien d’autres aspects. Il faudrait donc, sans tomber dans une quelconque complaisance, l’écouter, le lire très attentivement et analyser objectivement ses propos. Il s’agit de l’avenir de la RDC toute entière.
Les lignes qui suivent ne visent donc pas à réfuter la ou les propositions du président de l’UNC, ni à les soutenir, mais à tenter de bien comprendre le schéma kamerhiste de recherche de la paix pour éventuellement le critiquer positivement et si nécessaire, modestement, contribuer à son enrichissement, puisqu’il s’agit d’une question nationale qui nous concerne tous.
Quid de la théorisation proposée ?
Interrogeons-nous d’abord sur la modélisation ou la théorisation par la figure triangulaire que présente l’honorable Kamerhe. Monsieur Michel Moto explique : » Comme annoncé lors de sa sortie politique du 22 août 2022 à Kinshasa … son plan de sortie de crise à l’Est de la RDC, basé sur sa théorie de l’œil du cyclone au centre d’un triangle » dans le même communiqué le compatriote Michel Moto précise : « L’approche prônée par le Président national de l’UNC met un accent particulier sur la nécessité d’un dialogue franc entre les pays impliqués, notamment la RDC, le Rwanda et l’Ouganda. Ces trois pays forment le triangle au centre duquel se trouve le M23, l’œil du cyclone « .
D’après ma compréhension, le symbolisme de » l’œil du cyclone » sert à attirer l’attention sur un lieu, le centre de la tempête, autrement dit le cœur géographique d’un conflit ; j’admets que par extension, le concept pourrait signifier la raison principale de l’antagonisme. Si je ne m’abuse, la mythologie grecque nous a légué une expression plus appropriée » la pomme de la discorde » ; plus simplement nous dirions le sujet ou la cause principale de la mésentente.
Le M23 est-il vraiment « la pomme de la discorde » entre les protagonistes du drame de l’Est congolais ? A Kigali on ne cesse de répéter que la question du M23 ne concerne que les Congolais, elle devrait donc être réglée par eux-mêmes. Kinshasa, pour sa part, considère que le M23 n’est rien d’autre que la main armée du Rwanda pour affaiblir l’Etat congolais et justifier aux yeux du monde la non-viabilité de la République démocratique du Congo et ainsi faciliter sa dislocation afin de permettre aux voisins de s’emparer de quelques portions. Une analyse plus ethno centrée, estime que l’épisode M23 n’est qu’un moment de la mise en œuvre de l’empire HIMA qui ambitionnerait de contrôler l’ensemble de l’Afrique de l’Est et du Centre sous la domination des Tutsi. Notre propos ici n’est pas de disserter sur cet aspect.
Quelle est la pomme de la discorde ?
La première difficulté réside déjà à ce stade ; comment » négocier franchement et sincèrement » lorsque l’on n’est pas d’accord sur la raison du conflit ?
Rappelons quelques antagonismes internationaux du passé pour mieux éclairer notre assertion. Pendant les années 1940, Hitler voulait imposer un ordre nouveau en Europe et dans le monde, ce que Londres, Paris et enfin Washington n’acceptaient pas. La pomme de la discorde résidait donc dans cette contradiction. Pendant les années 1960, les USA voulaient empêcher l’expansion du communisme en Asie du Sud-Est, ce que ni le Vietnam, ni la Corée, ni l’URSS, et encore moins la Chine ne pouvaient accepter; voilà où résidait le désaccord et ce qui explique les guerres de Corée, du Cambodge et du Vietnam. Quid de la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine ? L’opinion mondiale sait que la Russie ne tolère pas l’idée de voir les Américains, à travers l’Otan, s’implanter à leur frontière ; ce que les Américains n’acceptent pas, puisque rétorquent-ils, ils viendraient en Ukraine à la demande d’un gouvernement légitime. Là git la pomme de la discorde !
Qu’est ce qui nous oppose au Rwanda et à l’Ouganda ? Quelle est la pomme de la discorde ? La première sincérité à solliciter des protagonistes ne consisterait-elle pas à obtenir des parties concernées un accord sur une définition claire et limpide de la cause du conflit?
Les historiens rétorqueraient en présentant une longue liste des conflits ou guerres où la pomme de la discorde n’a jamais été clairement définie, et ils seront du côté de la vérité historique. Cependant, que la raison des hostilités ne soit pas clairement nommée, qualifiée ou explicitée ne signifie pas qu’elle n’existe pas ! Bien souvent, la pomme de la discorde est camouflée, dissimulée, cachée. Ceci parce que, justement, la dissimulation, le silence sur l’essentiel, voire le mensonge sont également des armes de guerre aussi efficaces que des missiles. Alors, comment connaissant ces soubassements de l’art de la guerre peut-on lier la négociation à la sincérité ? C’est dire que pour bien avancer dans le raisonnement stratégique, il faut exclure cette notion de sincérité dans les pourparlers que nous aurons certainement, à un moment ou à un autre, avec le Rwanda et l’Ouganda.
La réalité est que le mobile rwandais de la guerre étant inavouable, Kigali ne saurait négocier dans la sincérité.
De la franchise et de la sincérité dans la négociation
Il faut encore éclaircir un autre concept qui, dans l’opinion publique congolaise et même parmi les politiques, sème une grande confusion : la négociation. En partant de l’univers culturel bantou, dominant en RDC, on va en négociation pour s’écouter, s’entendre, tenir compte des points de vue des uns et des autres, et généralement s’accorder. Tokeyi kosolola po toyokana, Ndayi nuya kumvuangana. Dans les relations entre les nations, dominées par la recherche des intérêts et la quête de la puissance, les choses se passent autrement. Mabika Kalanda attirait déjà l’attention des élites congolaises sur cette différentiation en 1967 dans son livre La Remise en question. Dans la vie internationale, la négociation ne se distingue pas véritablement de la guerre, elle est soit un aspect de celle-ci, soit tout simplement son prolongement sur le tapis vert. Rien ne dit que ceux qui se précipitent vers la négociation aiment plus la paix que les autres. Le concept » Fight and talk « , que l’on avance souvent pour défendre la voie de la négociation, insinue que l’on va parler pour prendre en compte des rapports de forces constatés sur le terrain ; en tenir compte et éventuellement limiter les dégâts en pertes matérielles et humaines. Ce n’est jamais la négociation qui décide de l’issue d’une guerre. Il est vain d’aller en négociation en pensant en revenir avec la victoire. Depuis l’Antiquité l’on dit » qui veut la paix prépare la guerre » et non qui veut la paix prépare la négociation.
Donc, pour le cas qui nous occupe ici, avant d’aller en négociation, franche, sincère ou pas, avec le Rwanda, tachons de connaitre ce qui pour nos agresseurs constitue la pomme de la discorde. Interrogeons-nous sur le principe de lâcher ou pas une quelconque part de notre souveraineté, anticipons sur la fraction de la pomme de la discorde que nous serions, par impossible, éventuellement prêt à abandonner en cas de contrainte trop forte. Demandons nous aussi si, comme nous aimons tant la paix, nous avons préparé la guerre ? N’attendons pas que Kigali et Kampala nous chantent haut et fort pourquoi ils nous attaquent depuis un quart de siècle ; ils ne le feront pas. Souvenons-nous que la dissimulation est aussi une arme de guerre. L’étalement naïf du fond de sa pensée ou de ses projets véritables n’est pas la loi du genre dans ce domaine. Il nous incombe donc, par l’étude de l’histoire commune de la sous-région, par l’observation du comportement de nos voisins, de savoir pourquoi Kigali et Kampala ne cessent de nous agresser.
De quelques éléments pouvant constituer la pomme de la discorde
Faut-il rappeler que la contestation du tracé des frontières coloniales des pays africains ne date pas d’hier, le compromis d’Addis-Abeba, obtenu par l’Organisation de l’Unité Africaine en 1963, consistant à les maintenir inchangées, acquis après de longs et houleux débats, restera toujours une solution délicate à maintenir. L’existence du Sud-Soudan, de l’Erythrée, l’actuelle guerre du Tigré sont là pour nous en convaincre.
Le phénomène des disputes entre nations sur les limites territoriales est une permanence de l’histoire humaine. Depuis la nuit des temps, les frontières évoluent. L’apparente et relative stabilité actuelle est une illusion. C’est dire que nos neuf voisins représentent un potentiel de guerre, une raison de vigilance.
Pour ce qui concerne le conflit frontalier que le Rwanda veut créer avec la RDC, le premier message contemporain explicite est venu du Pasteur Bizimungu, premier Président du Rwanda sous le régime FPR ; il évoquait la revendication rwandaise de reconsidérer les frontières tracées par la Conférence de Berlin, dès le début de la guerre de l’AFDL. Depuis les Rwandais n’ont jamais vraiment renoncé à cette exigence. Eden Kodjo écrivait : » il existe des constantes dans la politique des nations ; ce sont ces soubassements fondamentaux que les Etats doivent déceler et saisir « .
A l’Est de notre pays, l’intégration superficielle et surtout maladroite des migrants d’origine rwandaise dans le Kivu, organisée par le colonisateur belge, avait montré ses limites au moment de la lutte pour l’indépendance et pendant les premières années de souveraineté. Le bon voisin d’hier, avec lequel l’on vivait en harmonie, redevenait soudain l’étranger amené par le colon et qui devait aussi rentrer chez lui, à l’instar du colonisateur. Afin de bien saisir ce rejet, il faudrait replacer le malaise dans le contexte culturel et historique de la région avant l’arrivée du blanc, en considérant l’absence des frontières » étanches » à l’Européenne et les guerres et autres batailles qui opposaient les voisins, des siècles durant.
La question de l’immigration rwandaise prendra une autre ampleur avec les entrées, multiples et successives sur le territoire congolais, des refugiés dues aux nombreuses confrontations politiques entre les hutu et les Tutsi, tant au Rwanda qu’au Burundi.
Monsieur Barthélemy Bisengimana, alors Directeur de Cabinet du Président Mobutu, contribuera à sa manière à attirer des Rwandais au Congo, en les aidant à s’enrichir à Kinshasa et ailleurs et à s’implanter massivement dans le Masisi et le Rutshuru ; modifiant par cette immigration les équilibres socio-politiques de la région.
Notre compatriote Honoré Ngbanda, qui fut longtemps Conseiller du Maréchal Mobutu, expose très clairement dans son ouvrage. « Ainsi sonne le glas » comment, pendant de longues années, fuyant la pression démographique de leur pays, nombre de Rwandais tentaient, souvent avec succès, de se déverser sur le sol Congolais.
Aujourd’hui, le Rwanda de Kagame considère toutes ces personnes comme Congolaises et n’envisage nullement de les reprendre. De plus, le Rwanda se voit et veut agir comme la puissance protectrice des Tutsi congolais, qui se disent discriminés en RDC. Kinshasa, évoquant notre souveraineté considère cette intrusion dans ses affaires internes comme étant inacceptable. En RDC, l’opinion ne nie pas qu’il existait parmi les habitants du Kivu des tutsi congolais avant la colonisation, nous admettons également que le président Mobutu et ensuite la Conférence de Sun City avaient reconnu la nationalité congolaise aux anciens réfugiés rwandais et autres immigrés. Cependant, beaucoup de Congolais ont le sentiment, pour ne pas dire la conviction, que le Rwanda fomente des rebellions en vue de modifier les équilibres démographiques des deux Kivu, pour plus tard provoquer une sécession qui aboutirait à une annexion de ces territoires au Rwanda. Kampala accompagnerait Kigali, en sous mains et attendrait en embuscade l’occasion de s’emparer aussi de certaines parties du Nord-Kivu et de l’Ituri.
Nos relations avec le Rwanda ne sont pas perturbées que par l’histoire et les flux migratoires, la géologie y apporte aussi sa part de complication. Il se trouve que, selon les connaissances actuelles, la plupart des minerais convoités à travers le monde se trouvent en République Démocratique du Congo. Cette répartition apparait comme mal acceptée au Rwanda.
Cette brève évocation, certainement non exhaustive, nous indique la nature essentielle des épines qui jonchent le chemin d’une paix durable entre la RDC et le Rwanda. En effet, les frontières tracées par les colonisateurs ne conviennent pas aux Rwandais : pour eux les migrants de l’époque coloniale, les réfugiés des guerres successives et une partie de leur population actuelle devraient, sans distinction, pouvoir traverser la frontière et occuper les vastes et fertiles terres du Kivu. De plus, la concentration des minerais en RDC leur semble inacceptable s’ils ne bénéficient pas d’un partage. Sur ce point, nous nous rappelons que le président français Sarkozy était venu à la rescousse du Rwanda devant les parlementaires congolais médusés.
Demander aux Rwandais d’être francs et sincères, c’est exiger d’eux qu’ils étalent aux yeux du monde les revendications partiellement exposées ci-haut. Conscient de l’incongruité de leur position, ils ne les exposeront jamais. Exiger qu’ils dégagent de Bunagana, sans aucune forme de procès, c’est leur demander de quitter la table alors qu’ils ont encore faim. D’ailleurs la réponse publiée le 24 octobre par le bureau du porte-parole du Gouvernement rwandais est révélatrice du malaise de Kigali. En effet, Kagame n’arrive plus à se cacher derrière le M23 ; il s’est dévoilé et a étalé sa contradiction et son ambiguïté.
Solliciter des Congolais d’être francs et sincères, est-ce exiger de nous que nous acceptions, complètement ou en partie, de si importantes entorses à notre souveraineté ? A Kasavubu la question ne fut jamais posée, Mobutu ne l’aurait jamais fait, Laurent Désiré Kabila a donné sa vie pour la cause de l’intégrité territoriale, Joseph Kabila a refusé d’y toucher, ceux qui avaient cru que le fils du sphinx de Limeté serait manipulable pour jouer à ce jeu se mordent les doigts. Tout indique que Félix Tshisekedi ne trahira pas la RDC. Bref, Aucun Congolais digne de ce nom ne descendra aussi bas!
Alors que faire pour sortir de ce casse-tête ? Dans un système international de compétition et de recherche de puissance, aucun pays n’est vraiment à l’abri des convoitises de ce type. Mais pendant que les autres anticipaient pour se prémunir de ce genre de situations en dissuadant les voisins envieux, nous étions emportés par la distraction, par le refus de l’organisation, par la destruction, par la dilapidation de nos moyens, par la recherche de l’enrichissement individuel facile et rapide. Et il faut courageusement dire la vérité ; aujourd’hui, la situation demeure fondamentalement la même, nous décrions encore des maux semblables.
Le moment est venu de prendre conscience que la solution du mal congolais, dans lequel s’insèrent nos rebellions, nos Maï-Maï et les occupations de nos territoires par les étrangers, sans oublier nos corruptions, nos négligences, notre refus de l’autocritique, notre propension à voir le mal toujours chez l’autre, ne se trouvera pas dans une quelconque négociation avec qui que ce soit, dans n’importe quelle atmosphère de franchise ou de sincérité.
Que faire, alors ?
Faut-il, dans les conditions actuelles, entrer en guerre avec le Rwanda, faute de ne pas pouvoir négocier ? Agir dans la précipitation serait faire preuve d’une grande naïveté et tomber dans l’attrape-nigaud de Kigali. Ma conviction est que le Rwanda, par le M23 interposé, a pris Bunagana comme une étape vers la prise de Goma, afin d’inciter les Congolais à perdre leur sang-froid et à réagir en attaquant son territoire pour ainsi enclencher la guerre entre la RDC et le Rwanda, à un moment qui lui parait favorable. Dans la foulée, son allié, l’Ouganda, occuperait aussi une bonne portion de l’Est de notre pays sous le prétexte de poursuivre les ADF et d’empêcher un quelconque débordement des hostilités sur son territoire. Il faut croire que Kigali veut se lancer dans » le piège de Thucydide » .
Je ne suis donc pas partisan d’une guerre contre le Rwanda dans la conjoncture actuelle. Ma réserve s’explique par ma conviction qu’actuellement ce pays belliqueux est mieux préparé et plus soutenu que le nôtre pour subir les affres de la guerre ; ceci tant du point de vue politique, diplomatique que militaire.
Au point de vue politique, la scène politique Rwandaise, soumise à une dictature féroce, me semble beaucoup moins fissurée que la nôtre. Dans la démocratie congolaise, les politiciens ne sont pas convaincus que la conduite de la guerre exige que l’on taise, ne serait ce que provisoirement, certains antagonismes secondaires. Qui ignore que pendant les précédentes tentatives rwandaises, certains Congolais applaudissaient et d’autres allaient jusqu’à rencontrer les envahisseurs ? Aujourd’hui encore, nous ne sommes pas suffisamment unis pour aller en guerre. Une Nation divisée est une proie facile. Le Chinois Sun Tse l’a écrit au Vème siècle avant Jésus Christ.
Au point de vue diplomatique la situation ne m’apparait pas différente. Enfermées dans leur culpabilité suite au génocide, les grandes capitales du monde dominant n’osent pas lever le petit doigt contre les méfaits de Kigali. De plus, il est vrai que, profitant de cette culpabilité et sur un travail très rigoureux sur l’image de réconciliation et de reconstruction de leur pays, les diplomates rwandais ont développé une redoutable habilité pour s’attirer des sympathies et applaudissements de la scène internationale. Comment comprendre autrement le refus du Secrétaire Général des Nations Unies de reconnaitre le rôle du Rwanda dans l’occupation de Bunagana? Comment saisir son analyse sur les rapports des forces sur le terrain entre la Monusco et le M23, lors de son interview sur France 24 ? Comment comprendre enfin l’attachement de Londres et de Washington, et l’attitude de la France à l’égard de Kigali ? La capitale rwandaise constitue aujourd’hui le point à partir duquel l’Occident veut rayonner dans la sous-région. S’attaquer inconsidérément au Rwanda dans les conditions actuelles, équivaudrait à s’opposer à l’Occident. L’histoire, notre meilleur professeur de l’art de vivre entre les nations, nous apprend qu’en cas de conflit, il vaut mieux connaitre les alliés des adversaires et s’assurer de la loyauté des vôtres. Gagnons d’abord la guerre diplomatique, soignons notre image, améliorons notre réputation, préparons notre armée et le moment viendra d’aller plus loin.
Sur le plan militaire, tout en reconnaissant mes limites dans ce domaine très particulier et spécialisé, je constate, avec grande peine, que nos FARDC mettent beaucoup trop de temps à reprendre Bunagana et à contrôler des zones qu’ensanglantent régulièrement les ADF dans le Nord-Kivu et la CODECO en Ituri. Comme tout Congolais attentif à la marche de la Nation, j’ai toujours su que les différentes intégrations des soldats et officiers issus des rébellions et agressions avaient installé un climat de méfiance légitime au sein de nos forces armées, sans compter la culture du désordre, de fausses déclarations sur le nombre des militaires, des détournements, héritée de la période mobutiste, et que le temps n’a jamais su résorber. Je remarque aussi, ce que la propagande occidentale présente comme les performances des contingents rwandais au Mozambique et en République Centre Africaine notamment. Espérons que les changements actuellement en cours au sein de nos FARDC et l’esprit » Bendele ekueya te « , nous aideront à modifier rapidement les données de la situation.
Je ne doute pas, et c’est également mon souhait le plus ardent, que dans un avenir assez proche, notre pays rattrapera son retard sur les trois plans résumés ci-haut, mais en attendant j’exhorte la Nation à ne pas tomber dans le piège que nous tendent nos voisins de l’Est.