Tragédie et non « incident « 

Congolaises et Congolais de Kasindi et d’ailleurs, boycottons individuellement et collectivement le  mot  INCIDENT. Toute logomachie mise à part, incident renvoie invariablement à un événement de peu d’importance même si cela peut entraîner de graves conséquences. Il s’agit donc d’un fait mineur.

 Alors, question aux allures d’un sujet de dissertation : serait-il indiqué de parler d’incidents lorsque des soldats de la paix dont la mission foncière est de protéger les civils tirent mortellement  sur une partie de cette population ? En l’occurrence, poser la question c’est y répondre.

Comment alors, diantre, la MONUSCO parle d’incidents lorsque des casques bleus tuent des…civils qu’ils ont le devoir et même  l’obligation de protéger ?  Même en y ajoutant l’épithète « grave« , un incident reste un « petit événement qui survient« . L’oxymore « incidents graves » est très loin d’effacer l’antinomie « soldat de la paix qui donne la mort au sein de la population civile« .

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde« , écrivait Albert Camus dans l’un de ses nombreux textes. Cette citation du philosophe français résonne très fort dans le cas de Kasindi. Ce qui s’y est passé est tout simplement gravissime.

D’abord, par la nature des personnes  en cause : des soldats de l’ONU dont le job est précisément de protéger les civils. Dans  l’abc du journalisme, on parlerait avec  beaucoup d’à-propos du cas de figure où un homme mord un chien ».

« La protection des populations civiles« , cette chanson qu’entonnent constamment tous les cols blancs onusiens lorsque des Congolais critiquent – non sans raison –  l’inefficacité voire l’inertie des casques bleus dans la traque des groupes armés. Voilà que les mêmes soldats ont la gâchette plus facile quand il s’agit de tirer sur des …civils que lorsqu’il est question de défendre ces mêmes pauvres congolais face à la kyrielle de groupes armés et terroristes.

 Ensuite, il n’y avait pas matière à légitime défense pour tirer sans sommation et à balles réelles sur des Congolais sans armes. Enfin, comble d’ironie du sort, lorsque les tueries sont le fait des FARDC, les technostructures de la MONUSCO ignorent-à bon droit –  dans toutes les six  langues usitées dans la « maison de verre » le mot « incident« .

La séquence mortifère et mortelle de Kasindi rappelle l’usage  à géométrie variable -ou idéologiquement motivé- des mots et concepts. Mieux, cette inégalité dans la manipulation des termes qui fait dire par exemple que des Occidentaux en Afrique indistinctement qu’ils sont coopérants et que des Africains Outre-Méditerranée ou Outre-Atlantique sont des immigrés. Dans la même veine, on parle  des « conflits géopolitiques » au nord et des guerres ethniques ou tribales au sud. Des mots positifs et des vocables négatifs -selon l’hémisphère – pour désigner une même et seule réalité.

 En parlant d’incidents graves de Kasindi, il y a comme une volonté  de réduire  intellectuellement en amont   la portée événementielle de la tuerie. C’est  dommage que même le Gouvernement congolais fasse sien ce vocabulaire dont le but idéologique est, au fond, de banaliser  l’acte immonde posé par des « soldats de la paix« . 

Kasindi devient donc cet incident synonyme d’accident de parcours. Tirons à bout portant sur le mot  « incident« . José NAWEJ

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