Ni acharnement ni mauvaise foi. Simplement le souci d’accomplir notre devoir de journaliste, celui de fustiger le mal et l’injustice, de défendre le bien, et en particulier le bien commun, de servir de voix à ceux qui n’ont pas de voix. Eh bien, tant que subsistera une ombre d’injustice dans le dossier « retraités de l’Office des Routes », nous ne nous tairons point.
Lorsqu’Herman Mutima Sakrini prononce ce jeudi 27 janvier 2011 son discours de prise de fonctions en qualité de nouveau Directeur Général de l’Office des Routes, il est tout suave, tout miel : « Nous voulons d’un Office des Routes rénové, d’un Office des Routes dont l’essentiel de l’action reposera, non sur la réhabilitation des routes en terre, mais sur la modernisation, l’extension du réseau et la construction des routes revêtues répondant aux besoins de développement du pays. Le DCA et moi-même plaçons notre mandat sous le signe de la modernisation : modernisation des approches techniques, modernisation des méthodes de gestion, modernisation de la formation… Nous mettrons en place un plan déformation adapté aux ambitions que nous avons pour l’Office des Routes du XXIème siècle… »
Quatre mois après, à l’occasion de la commémoration du 40ème anniversaire de la création de l’Office des Routes, il organise un grand coup de pub qui attire sur lui les projecteurs de l’actualité. En effet, à son initiative, le Grand Hôtel de Kinshasa abrite sous ses lambris, le 11 mai 2011, un événement de dimension internationale. A l’ordre du jour, un thème passionnant : « La modernisation du réseau routier de la République Démocratique du Congo« .
Ne lésinant pas sur les moyens, le numéro un de l’Office des routes met les petits plats dans les grands et entoure la manifestation de l’auréole du Président de la République. En sa qualité de chef de gouvernement, Adolphe Muzito préside personnellement la séance inaugurale. Sur le moment, il n’y a pas de raisons d’émettre un moindre doute sur la bonne foi.
« Nul n’ignore que la route ou plus précisément les infrastructures routières constituent un facteur incontournable du développement et de la croissance économique d’un pays« , déclare-t-il. « C’est notamment grâce à un réseau routier fiable et moderne qu’on peut arriver à réduire, sinon à éradiquer la pauvreté dans un pays« . Après avoir posé le diagnostic, il prescrit une thérapeutique de choc : la modernisation tous azimuts. Cet ambitieux projet repose, affirme-t-il sur deux leviers : les opportunités et les stratégies.
Quand l’orateur a fini de parler, l’assistance lui fait un triomphe et reste suspendue à ses lèvres. A bas les sempiternelles routes en terre. A bas les éternels recommencements. Onze ans plus tard, la cécité s’est envolée, les yeux se sont ouverts : aucun kilomètre de route bitumée sur l’ensemble du pays malgré la mise à disposition par le gouvernement d’une batterie d’équipements ultramodernes pimpant neuf. En lieu et place de la modernisation, 80 % du réseau à charge de l’Office des Routes a plongé dans le bas-fond du délabrement. Témoin privilégié de cette affligeante réalité, le Chef de l’Etat TSHISEKEDI en personne. Le désenchantement est général.
Exit la modernisation des approches techniques et des méthodes de gestion et de formation. Exit l’extension du réseau et la construction des routes revêtues répondant aux besoins de développement du pays. De toutes ces promesses, ne subsistent que des vagues souvenirs.
A l’Office des Routes du XXIème siècle a succédé paradoxalement un Office des routes moyenâgeux. Décapité de ses meilleurs experts, contre l’avis et les conseils de nombreux spécialistes des infrastructures, même du Premier Ministre, chef du gouvernement, l’établissement se meurt.
En date du 17 mars 2022, le Directeur Général adresse une note circulaire aux directeurs centraux et provinciaux, au bureau de la Délégation Syndicale Nationale et aux délégations syndicales provinciales. En exergue, elle porte sur le paiement des décomptes finals aux retraités de l’Office des Routes qu’il qualifie, en passant, « d’agents passifs« . Concept inédit qui n’est mentionné ni repris dans aucune disposition de la Convention collective de l’Office des Routes.
J’ai sous mes yeux le Décret fixant les statuts « un établissement public dénommé « Office des Routes », nulle part il n’est écrit que « l’Office des Routes est un établissement public à caractère technique émargeant au Budget annexe de l’Etat pour son fonctionnement et la rémunération de son personnel« . En falsifiant ce document fondateur, le manager du XXIème siècle s’est livré à une « fraude inexcusable« .
Se substituant sans vergogne aux ministres des Finances et du Budget, le DG décrète: « L’Etat propriétaire n’a pas les moyens financiers nécessaires pour payer les décomptes finals dus aux agents passifs dans le délai de 48 heures suivant les dispositions de l’article 100 du Code du Travail« . La cause est entendue.
Ce manque des ressources financières de l’Etat-propriétaire, il l’impute à la conjoncture économique: « A chaque exercice budgétaire, l’Office des Routes mène des démarches au niveau des instances gouvernementales pour désintéresser les retraités à travers les prévisions budgétaires. Mais, l’Etat-propriétaire ne libère pas les ressources budgétaires nécessaires pour régler cet épineux problème à cause de la conjoncture économique difficile… « La Loi des finances votée chaque année au Parlement ne donne pas à l’Office des Routes une ligne de crédit propre au paiement des décomptes finals«
Pas donc un mot sur près de 780 millions de dollars de recettes publiques et additionnelles engrangées par l’entreprise et dépensées au cours de dix années de sa gestion. Pas un mot non plus sur l’absence d’une planification rationnelle et responsable des départs à la retraite.
En revanche, on saute sur une solution derrière laquelle on cherche à s’abriter: « Le Conseil d’Administration a instruit la Direction Générale de convoquer une réunion tripartite entre l’Employeur, le Bureau de la Délégation Syndicale Nationale et les retraités… ». « Cette réunion eut lieu le 26 février 2021 et connut la participation de l’Employeur (Direction Générale et Conseil d’Administration), l’Inspection Générale du Travail, le Bureau de la Délégation Syndicale Nationale et un échantillon de retraités. »
« Cette réunion a abouti aux conclusions ci-après : l’Etat-propriétaire n’a pas de ressources financières suffisantes pour payer les décomptes finals dans les 48 heures conformément aux dispositions de l’article 100 du Code du Travail« . En attendant l’aboutissement des démarches au niveau du gouvernement, « ce n’est pas la réunion, mais plutôt le prestidigitateur qui sort de son chapeau un remède magique« : les trois schémas. 1) payer au retraité son indemnité d’attente actuelle, mais simplement comme acompte sur son décompte final et l’obliger de renoncer à jamais de percevoir le fruit de son labeur ; 2) amputer l’indemnité d’attente de tous les avantages légaux et envoyer le règlement du décompte final à la direction de la Dette Publique ; 3) faute pour le retraité d’accepter l’un de ces schémas, envoyer le règlement de son décompte final à la direction de la Dette Publique, et donc prononcer son arrêt de mort, car privé de ressources de subsistance.
Pendant que ce scénario est mis en place, le retraité de l’Office des Routes est un apatride, qui ne peut rien attendre de la CNSS où il n’est ni connu ni reconnu. L’auteur de la note circulaire a cependant oublié de mentionner que, bien avant la tenue de cette réunion, les retraités avaient unanimement récusé l’Inspecteur Général du Travail présent pour des raisons évidentes.
C’est ici que des questions surgissent. Qui a donné mandat au DG MUTIMA de concocter des formules qui ne reposent sur aucune base légale, mais qui ont le culot de tordre aussi bien le Code du travail que la Convention collective? Comment, avec trois fois moins de ressources financières, les prédécesseurs de l’actuel numéro un de l’Office des Routes parvenaient-ils à régler sans casse ni récrimination la question du paiement de décomptes finals ? Personne d’ailleurs, parmi les retraités qui ont assisté à la fameuse réunion du 26 février 2021, ne se souvient avoir donné son quitus aux « schémas mutimiens« .
Quand il laisse tomber la veste des ministres des Finances et du Budget, il la troque contre celle de législateur. Il tient ainsi à faire payer coûte que coûte aux autres sa gestion.
Ni le Collectif des retraités ; ni le syndicat SYNADOR, ni un quelconque membre du gouvernement, encore moins l’Inspection Générale des Finances, personne, ne peut l’inquiéter.
Etonnant tout de même, pendant que la ministre de l’Emploi, Travail et Prévoyance Sociale attend de son collaborateur commis à la tâche un rapport circonstancié sur « le processus de paiement des décomptes finals aux retraités de l’Office des Routes, dans le respect strict de la réglementation en vigueur« , qu’il dépêche ses équipes à Kananga aux fins d’y embobiner les retraités et leur arracher la signature.
Qui mettra un terme à cette impunité ? Monsieur le Président de la République, vous êtes le Garant de la Nation. Vous êtes l’Apôtre de l’Etat de droit. C’est à vous qu’il incombe d’arracher ce qui menace des têtes innocentes.
François KATELAYI MUTSHUKA
Correspondance particulière