Le développement des zones de libre-échange économique, ou simplement des accords de libre-échange entre pays désireux d’intensifier leurs échanges commerciaux sans appartenir à un même espace géographique, constitue un des traits marquants du commerce international depuis le début des années quatre-vingt-dix.
En Afrique, ce phénomène est observé notamment à travers les ZLE installées ou en gestation des différentes communautés économiques régionales : SADC, COMESA, EAC, et plus largement la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF), actuellement en construction.
L’AGOA ou Loi américaine sur la croissance et les Opportunités en Afrique pourrait, quant à elle, servir éventuellement d’exemple d’un acte juridique unilatéral bien plus que d’un accord commercial proprement dit, permettant néanmoins aussi le développement des échanges commerciaux pour les pays africains éligibles.
C’est à nouveau le cas de la RDC qui y a été réintégrée depuis Mai 2020. Pendant la période d’exclusion, d’une dizaine d’années, les exportations nationales vers le territoire américain essentiellement constituées des produits agricoles et précisément du café étaient passées d’une valeur estimée d’USD 623 Millions en 2011 à USD 21 Millions à peine en 2019. Signe de l’opportunité réelle d’investissement représentée par cette réintégration pour les opérateurs économiques locaux ou étrangers.
En principe, le libre-échange vise à favoriser le développement du commerce international, comme indiqué ci-dessus, en supprimant les barrières tarifaires et les barrières non tarifaires injustifiées, susceptibles de restreindre l’importation des biens et des services. Il vise à tordre les comportements économiques anciens des nations, pratiquantes pour la plupart d’une forme de protectionnisme par l’application de mesures tarifaires ou non-tarifaires tels que les quotas, les subventions aux exportations, les normes techniques ou sanitaire ou d’autres mesures favorables aux entreprises nationales.
Afin de tirer réellement avantage des opportunités offertes par les ZLE ou autres accords de facilitation des échanges commerciaux, la RDC a besoin de restaurer et diversifier son tissu industriel. En effet, le Pays est quasi exclusivement exportateur de minerais et non de produits agricoles ou industriels bénéficiaires des avantages tarifaires. Le commerce entre la RDC et les Etats voisins est négativement asymétrique. Nous importons systématiquement plus que nous ne pouvons exporter, à quelques exceptions près.
Tenant compte de l’existence des fournisseurs et d’acheteurs potentiels dans les pays partenaires, une politique industrielle visant à développer des chaînes de valeur devrait être soutenue en faveur des produits tels que le coton, l’huile de palme, le café et le cacao.
La position de semi-enclavement expose la RDC à recevoir des produits non originaires des pays normalement bénéficiaires des régimes préférentiels, faussant ainsi dangereusement la concurrence pour la production locale. D’où nécessité de mesures appropriées en vue de pouvoir certifier la véritable origine des produits déversés massivement sur le marché national.
L’absence ou le déficit d’interconnexions entre les territoires (145) formant le marché intérieur, ainsi qu’entre ces derniers et les zones d’évacuation vers l’étranger constitue également un goulot d’étranglement qu’il convient de supprimer.
Une autre zone de défis est représentée par l’interconnexion des modes de transport (maritime et terrestre), la connectivité aérienne, la promotion des corridors de désenclavement, la simplification des procédures, l’allègement des délais et des coûts du commerce transfrontalier.
Par ailleurs, la facilitation des échanges pour les opérateurs économiques de la RDC ne concerne pas seulement l’amélioration des infrastructures matérielles, mais aussi celles des infrastructures immatérielles. A ce titre, il existe un besoin de déployer des activités susceptibles de soutenir la suppression des barrières non-tarifaires reposant sur des normes, des règlements techniques ainsi que des mesures sanitaires et phytosanitaires.
Dans cet ordre idée, il y a lieu d’encourager la collaboration entre les organismes homologues d’évaluation de la conformité au niveau régional et plus largement international. Cette collaboration pourra être basée sur :
i. L’harmonisation des normes de qualité et des réglementations techniques applicables aux produits commercialisés entre les pays concernés ;
ii. La reconnaissance mutuelle des certificats d’évaluation de la conformité, des services d’étalonnage des équipements de mesure, des services de certification pour les produits et les systèmes, qui ferait qu’un certificat de qualité émis dans tel pays soit d’office accepté dans le pays partenaire ;
iii. La formation des opérateurs économiques, industriels et commerçants, aux bonnes pratiques de fabrication et de commercialisation des produits (normes de production, designer, étiquetage, systèmes d’assurance qualité, etc.) et aux règles du commerce international en général.
Face à la suppression des barrières tarifaires dans le processus mondial de facilitation des échanges, la qualité et le prix sont en voie d’être érigés en critères exclusifs de sélection pour les marchandises et produits à la frontière. Dans ce contexte, il convient pour nos opérateurs économiques de garder à l’esprit que la qualité des produits et services est déterminée par la capacité à satisfaire les clients (ISO 9000:2015). Elle est aussi déterminée par l’impact prévu et imprévu sur les parties intéressées pertinentes. Elle inclut non seulement la fonction et les performances prévues des produits et services, mais aussi la valeur et le bénéfice perçus par le client. Elle suppose une orientation et une culture qui se traduisent par un comportement, des attitudes et des processus générateurs de la valeur. Elle exige notamment la mise en place d’un système d’assurance qualité en conformité avec les normes pertinentes de la série ISO 9000, lequel système doit idéalement être certifié et orienté vers l’amélioration continue.
En outre, la qualité commande de recourir à la stylistique (design), qui ne se réduit pas à l’esthétique de présentation mais s’étend à l’optimisation de la valeur du produit par l’amélioration du confort, de la sécurité, de la facilité d’utilisation. Elle est un facteur de succès face à la standardisation des produits et l’exacerbation de la concurrence, imposant à l’entreprise exportatrice de se différencier. Il ne suffit pas ainsi que le produit soit d’un niveau élevé voire excellent de performance, encore faut-il qu’il satisfasse correctement les besoins de consommateurs.
Aux Etats-Unis d’Amérique, pays de l’AGOA pris à titre indicatif, la défectuosité d’un bien engage la responsabilité du fabricant. Il peut être attaqué en justice et se voir condamné à de lourdes peines car étant déclaré automatiquement responsable (Strict liability ou responsabilité objective).
Aussi, convient-il de rappeler les multiples avantages de la qualité à différents aspects :
– Amélioration de la rentabilité, grâce à une économie des coûts de non-rentabilité et une tarification plus lucrative ;
– Dynamisation des ventes, grâce à une réputation plus affirmée de la firme, la bonne adéquation du produit aux besoins du client et la pénétration de nouveaux marchés ;
– Limitation des risques, par leur atténuation au niveau de la responsabilité civile produit. En Europe, par exemple, le produit défectueux est défini par la directive européenne du 25/08/1985 comme celui qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances.
Au demeurant, il s’agit de soutenir la compétitivité des opérateurs économiques locaux sur les marchés national et extérieur ouverts à la libre circulation des marchandises. Les pays voisins en particulier (Rwanda, Ouganda, Kenya, Zambie, Angola, etc.) développent des stratégies industrielles et commerciales visiblement focalisées vers la conquête du marché congolais dont la population est variablement estimée selon les sources, allant pour les unes jusqu’à 102 462 500 consommateurs potentiels (Atlas du Congo Profond 02 : Projections 2020). Les stratégies des pays partenaires commerciaux appellent des contre-stratégies au niveau national, en lieu et place d’une navigation à vue.
Quand d’aucuns continuent à privilégier les guerres et les conflits comme système d’interaction entre les Etats, d’autres plus perspicaces probablement ont choisi de transporter ladite interaction sur le front commercial. Le commerce étant devenu cette autre forme, plus moderne et civilisée, de poursuivre la guerre à défaut d’engranger des progrès manifestes dans le champ de la coopération.
Prof Franck Elias MUKANYA-LUSANGA (IFASIC)