C’est l’épilogue dans ce qu’il est convenu d’appeler «affaire Mwant Jet». La Cour d’appel de Kinshasa-Matete a tranché en faveur de la désignation d’un administrateur provisoire indépendant. Place à l’exécution de cette décision de justice. Exit toutes les manœuvres pour retarder l’exécution de cet arrêt susceptible d’avoir une portée pédagogique sur le front de la sécurité juridique et judiciaire pour tout opérateur économique d’ici et d’ailleurs désireux de se lancer dans les affaires. Alors que tous les disciples de l’Etat de droit se réjouissaient de ce happy end, patatras, le Tribunal de commerce de Kinshasa/Matete émet un signal qui déroute l’opinion. Nombre d’observateurs avisés ne comprennent pas que cette juridiction accouche de deux jugements contradictoires sur une question dont la principale avait débouché sur la désignation d’un administrateur provisoire. Une démarche d’autant plus incompréhensible que l’affaire était déjà prise en charge au second degré ! Bon justiciable, l’actionnaire minoritaire est quand même allé en appel contre ce jugement inattendu. Dans tous les cas, l’arrêt qui compte à ce stade est celui qui a été rendu par l’instance supérieure, en l’occurrence la Cour d’appel.
Sous RCEA 155, la Cour d’appel de Kinshasa/Matete vient de confirmer le jugement rendu sous RCE 1947 en première instance par le Tribunal de commerce le 21 février dernier dans l’affaire opposant Mme Gueda Yav Witch Amani contre Michael Yav et la société d’aviation Mwant Jet SARL. Par son jugement, le Tribunal de commerce avait désigné Nzailu Basinsa Benjamin comme administrateur provisoire pour gérer la société Mwant Jet SARL pendant six mois avec des missions spécifiques. Cette décision était loin de satisfaire Gueda Yav qui a interjeté appel à la Cour d’appel de Kinshasa/Matete.
Alors que l’instance supérieure, en l’occurrence la Cour d’appel de Kinshasa/Matete a rendu son jugement le 23 mars dernier confirmant la décision du Tribunal de commerce désignant un administrateur provisoire pour gérer l’entreprise pendant 6 mois, Gueda Yav, gérante de la société et associée majoritaire, va saisir à nouveau le Tribunal de commerce de Kinshasa/Matete. Celui-ci va rendre un autre jugement contradictoire au premier qui désignait un administrateur provisoire en la personne de Nzailu Basinsa Benjamin.
UNE AUTRE DECISION CONTRADICTOIRE A LA PREMIERE
D’où des questions que suscite une telle situation pour le moins invraisemblable. Des observateurs avertis se demandent comment fonctionnent les instances judiciaires au Congo-Kinshasa. Peut-on revenir à une instance inférieure pour des faits qu’elle a déjà jugés ? Interrogés, les spécialistes du Droit positif en RDC répondent sans tergiverser : « Non ! D’autant plus qu’il y avait un appel et que l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu. On s’en tient donc logiquement à la décision de l’instance supérieure, surtout qu’il s’agit d’un jugement en appel ».
Alors à quel jeu se livre le Tribunal de commerce de Kinshasa/Matete qui rend un jugement avant d’en rendre un autre contradictoire au premier, dans une même affaire?
La jubilation de Gueda Yav est de nature à semer le doute, le flou dans l’opinion. D’où l’impérieuse nécessité d’éclairer cette même opinion pour comprendre ce feuilleton judiciaire.
Pour rappel, cette affaire a été jugée en première instance par la même juridiction qu’est le Tribunal de commerce de Kinshasa/Matete le 21 février dernier. Un jugement a été rendu qui n’a pas satisfait Gueda Yav Amani. Ce qui l’a poussée d’aller en appel auprès d’une instance supérieure, selon la procédure réglementaire ainsi que l’organisation des compétences judiciaires en République démocratique du Congo.
En appel, rapporte le confrère en ligne 7 sur 7, le ministère public, parlant au nom de l’Etat congolais, a émis un avis écrit, avec arguments à l’appui, en faveur du jugement du Tribunal de commerce de Kinshasa/Matete. Le 28 mars dernier, un jugement est rendu par la Cour d’appel confirmant la décision du Tribunal de commerce de Kinshasa/Matete. Alors que, pendant que l’associée majoritaire fait appel, celui-ci – l’appel – étant suspensif, elle continue logiquement à assumer ses fonctions de gérante de la société, même si son mandat est déjà arrivé à terme.
SIGNES PRECURSEURS D’ANEANTISSEMENT DE L’ENTREPRISE
L’arrêt de la Cour est rendu et devrait être appliqué avec notamment l’installation d’un administrateur provisoire dans cette entreprise d’aviation.
Dans son jugement, la Cour note que, dans le cas sous examen, il ya effectivement crise non seulement entre les deux actionnaires qui constituent la société, mais aussi crise entre les membres des organes de gestion ayant amené la non-tenue des assemblées générales ordinaires de la société Mwant Jet SARL ayant même entraîné la révocation par la gérante de l’un des associés de son poste de directeur financier.
Cette crise entre les deux uniques associés présente des signes précurseurs d’anéantissement de cette entreprise. Il s’ensuit que toutes les conditions pour la désignation d’un administrateur provisoire étaient réunies et que c’est à bon droit que le premier juge a désigné un administrateur provisoire pour lequel il a bien justifié ses compétences. Celui-ci a été désigné au regard de son expertise dans le domaine de la comptabilité et au regard de son expérience dans le domaine de l’audit financier effectué dans certaines sociétés d’aviation en RDC.
L’ETAT DE DROIT SIGNIFIE LA SOUMISSION AUX DECISIONS DE JUSTICE
Il suit de tout ce qui précède que le jugement entrepris sera confirmé dans toutes ses dispositions dans la mesure où le premier juge a très bien rencontré tous les moyens soulevés et que sa décision ne souffre d’aucune absence de motivation.
A tout prendre, l’Etat de droit appelle aussi bien des devoirs que des droits que tout justiciable est appelé à respecter. Donc, l’Etat de droit est loin d’être un slogan. Il signifie la soumission de tous les citoyens à la loi et aux décisions de justice. Et en l’occurrence, il y a une décision de justice au deuxième degré qui vient de confirmer le jugement rendu le 21 février dernier par une juridiction inférieure à celle du second degré. Il ne reste donc plus aux deux parties en conflit qu’à se soumettre aux décisions de justice. Ne pas le faire constitue un affront à l’Etat de droit. Cela dit, à ce stade des choses, il n’y a plus à tergiverser, mais il n’y a qu’à appliquer cette décision de justice.
La sécurité juridique et judiciaire est tributaire de la capacité à faire respecter les jugements rendus par les cours et tribunaux. Kléber KUNGU