Nasser Bourita, MAE du Maroc: « L’Union africaine doit être proche des problèmes des Africains »

Nasser Bourita, Ministre des Affaires Étrangères est l’invité de cette édition de l’African Union Journal. Dans cet entretien exclusif, il partage avec nous la vision du Maroc, pour le développement du continent africain, les enjeux géostratégiques dans la perspective du Sommet Europe – Afrique 2022, son plaidoyer pour une matérialisation de la zone de libre-échange…

1- Le Thème de ce sommet est « Renforcer la résilience dans la nutrition sur le continent africain : accélérer le capital humain, le développement social et économique. Quelles réflexions vous inspire ce thème pour l’Afrique et pour votre action dans votre pays le Maroc en particulier ?

Je pense que c’est un thème important et c’est un thème qui correspond à un défi important pour le continent africain. Lorsque le Maroc est retourné à l’Union africaine en 2017, Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait rappelé que le Maroc, une fois installé au sein de l’Union participera à relever les véritables défis du continent. La malnutrition est un fléau qui est en Afrique, plus de 200 millions d’Africains n’ont pas accès à la nourriture et un nombre aussi important souffre de malnutrition. Le développement de la sécurité alimentaire est un défi pour notre continent, le Maroc, Sa Majesté, le Roi Mohammed VI a toujours considéré que c’est une thématique fondamentale pour notre Union. L’Afrique à tous les ingrédients pour garantir sa propre sécurité alimentaire. Le Maroc, sur instruction de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, est disposé à partager son expérience dans ce domaine. Le Maroc est un pays qui a développé une maîtrise du secteur agricole depuis des années. Le plan Maroc vert, la stratégie génération verte sont des modèles pour le développement de l’agriculture sur le continent. Avec plusieurs pays et à titre bilatéral, le Maroc à travers des programmes contribué à garantir la sécurité alimentaire et à renforcer la productivité de l’agriculture dans plusieurs pays. Le Maroc se trouve en phase avec cette thématique, qui s’inscrit parfaitement dans la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI par rapport à cette institution. L’Union africaine doit être proche des problèmes des Africains. Les débats ne doivent pas se perdre dans des questions idéologiques dépassées, mais plutôt se concentrer sur ce qui unit les Africains et ce thème fait partie des thèmes importants pour notre continent.

2- L’Afrique vient de traverser la pandémie de la crise Covid-19 en faisant preuve d’une très forte résilience et en se redécouvrant des capacités de résistance. Quelles leçons tirez-vous de cette crise et quels sont les arguments pour assurer une solide relance économique du continent? Le Maroc a développé des usines de fabrication du vaccin quelle est la stratégie africaine de cet investissement ?

La pandémie a certainement révélé quelques fragilités, quelques atouts dont dispose le continent. Dès le début de la pandémie, le Sa Majesté le Roi Mohammed VI a contacté un certain nombre de Chefs d’Etat africains, l’idée était de développer une réponse africaine à cette pandémie. Et nous sommes passés par 3 étapes, la première était liée à la protection. Et le Maroc sur instruction du Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a été le seul pays africain à donner des produits de protection à 27 pays africains et à la Commission de l’Union africaine, par rapport aux masques… Tout ce qui est produit au Maroc, le Roi à voulu qu’on le partage avec les pays africains. Deuxième niveau, c’est la question de la vaccination. Il est anormal qu’un quart de la population mondiale soit vacciné à hauteur de 11%. L’Afrique a été oubliée dans le processus de vaccination, et cela doit interpeller les Africains pour garantir leur sécurité et leur souveraineté vaccinale et sanitaire. Ça a toujours été le souci de sa Majesté le Roi. En lançant les travaux, il y a deux semaines, d’une usine de vaccin au Maroc, l’idée de Sa Majesté, le Roi Mohammed VI était non seulement de servir le Maroc, mais d’avoir des vaccins à la portée des populations africaines. C’est ça la logique. Le troisième niveau, c’est la relance économique et là aussi, les pays africains doivent, je pense, parler d’une seule voix, développer des stratégies communes pour relever ces défis sinon, comme nous avons été les oubliés de vaccination, nous serons encore une fois les oubliés de la relance économique.

3- En 2021, les tensions entre le Maroc et l’Algérie ont été à leur comble. De la rupture des relations diplomatiques à la fermeture des frontières, quelle est votre approche pour développer une relation entre ces deux pays frères du continent ?

La démarche de Sa Majesté le Roi était de ne pas s’inscrire dans une logique d’escalade. Le Maroc n’a pas pris de position contre l’Algérie, c’est l’Algérie qui a pris des positions et le Maroc a choisi de ne pas suivre dans cette logique d’escalade. Le Maroc n’insulte jamais l’avenir. Le Maroc considère aussi que tout ce qui est dans l’excès est insignifiant et beaucoup de choses ont été faites dans l’excès. L’approche du Maroc, l’approche de Sa Majesté le Roi a toujours été de ne pas réagir. Le Maroc n’a pas sorti un seul communiqué. Je pense un seul qui est sorti au début de cette crise. Mais depuis le Maroc n’a même pas réagi à cette décision, n’a même pas sorti de communiqués, parce que le Maroc souhaite construire l’avenir et ne pas travailler pour déstructurer ce qui lie les deux peuples frères.

4- Le Maroc, pays industrialisé, est un leader dans le plaidoyer pour la réalisation de la zone de libre-échange continentale. Quelles sont désormais les perspectives pour le Maroc et l’Afrique avec la matérialisation de la ZLECA ? 

Je pense que c’était ici à Africa24 que j’avais dit que c’est un projet exaltant, un projet important. C’est un projet qui correspond à un rêve du continent africain. Mais c’est un projet qui ne doit pas être fait dans la précipitation, il ne doit pas être fait, n’importe comment. La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) devrait être un moteur pour le made in Africa pas pour importer de l’extérieur et inonder les marchés africains. La Zlecaf nécessite une mise à niveau des infrastructures, des lois, des textes entre les pays africains. Les niveaux de développement des pays africains ne sont pas les mêmes. Il y a des décalages importants et Zlecaf ne pourra être efficace, utile que si le travail d’accompagnement, le travail préparatoire est fait d’une manière rationnelle, d’une manière pragmatique. Il est simple de lancer des slogans, de précipiter les dates, mais le plus important, c’est ce qu’on aura après, participera au développement des économies africaines, participera au développement du made in Africa. Et c’est comme ça que le Maroc conçoit et perçoit cette Zlecaf.

5- Pouvez-vous nous présenter l’état des relations entre le Royaume du Maroc et le reste du continent africain ?

Bien Sûr, d’abord le Maroc, c’est son continent d’appartenance à l’Afrique ! Et la relation entre le Maroc et plusieurs pays africains est une relation enracinée. Sa Majesté, le Roi Mohammed VI a voulu construire sur cet héritage de la relation pour donner un contenu encore plus stratégique, durable aux partenariats entre le Maroc et les pays africains frères. Sa Majesté, le Roi a fait plus d’une cinquantaine de visites dans le continent africain. Nous avons signé plus de 1000 accords bilatéraux avec des pays africains. Le Maroc forme 13 000 étudiants africains boursiers chaque année au royaume. Et le Maroc est engagé dans des projets de coopérations Sud-Sud, gagnant-gagnant avec les pays africains dans tous les domaines. Dans le domaine de l’agriculture, dans le domaine du tourisme, dans le domaine de la santé, le Maroc partage son expérience et son expertise avec les pays africains dans cette logique de coopération sud-sud souhaitée par Sa Majesté le Roi.

6- Le développement de l’Afrique est freiné par son manque d’infrastructures, une industrialisation déséquilibrée et une dépendance très forte à l’investissement international. Comment franchir ces écueils qui entravent une réelle indépendance économique de notre continent ?

Le développement des infrastructures est un élément important. L’Afrique à besoin d’investissements importants, mais l’Afrique a aussi besoin de rentabiliser ces investissements et c’est pour cela que le développement des infrastructures est un préalable important à la réalisation de la Zlecaf. Le Maroc, pour sa part au niveau national est le pays qui a développé le plus d’autoroutes, le port de Tanger Med, le TGV… Au Maroc, Sa Majesté le Mohammed VI a investi énormément dans l’infrastructure comme élément important pour le développement économique et l’attraction des investissements étrangers.

7- Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous donner les derniers développements au sujet du Sahara marocain?

Sa Majesté, le Roi Mohammed VI, lors du discours de novembre 2021, à tracé le cadre de ce dossier. Le Sahara est marocain par l’histoire, par le droit et par la volonté de sa population. Le Sahara est marocain aussi par la reconnaissance internationale, à travers des accords, à travers des consulats. Nous avons aujourd’hui 25 consulats qui sont ouverts dans les villes de Laâyoune et Dakhla. Des accords ont été signés qui incluent le Sahara. Des pays, du golf, des pays européens, des pays africains ont confirmé la marocanité du Sahara. Deuxième niveau, le Maroc est inscrit dans un processus onusien pour parvenir à une solution dans le cadre de l’autonomie sous souveraineté marocaine comme seul cadre de résolution de ce différend régional. Bien sûr aujourd’hui, ce processus est bloqué au niveau onusien parce que, une partie principale, un pays voisin, continue de bloquer ce processus, a rejeté les résolutions du conseil de sécurité de l’ONU et souhaite bloquer les efforts de l’envoyé personnel pour parvenir à une résolution de ce problème. Au niveau africain, au niveau de ce sommet, je pense que les pays africains ont été unanimes. À souligner que la question du Sahara ne doit pas être instrumentalisée comme elle l’a été par le passé pour diviser les pays africains au sein de cette organisation. La question du Sahara est traitée au niveau des Nations Unies. La décision 693 de Nouakchott est la référence pour l’action de l’Union africaine qui est une action d’accompagnement, une action de soutien, mais jamais une action d’initiative ou d’action sur ce dossier.

8- Comment est-ce que les relations entre le Maroc et d’autres pays africains ont soutenu le programme de développement du Maroc ?

La coopération sud-sud voulue par Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’est pas une coopération dans un seul sens. C’est une coopération dans les deux sens. Le Maroc partage ce qu’il a, mais le Maroc apprend également des autres pays frères africains ce qu’ils ont réussi. C’est ça la philosophie de la coopération intra africaine, et de la coopération sud-sud. Le Maroc lorsqu’il signe des accords, lorsqu’il développe des projets, n’est pas dans une logique de donneur de leçon, il est dans une logique de partage avec les pays africains frères.

9- Quelle sera votre approche pour consolider votre vision pour Africa24 dans son rôle phare le Maroc et pour l’Afrique ?

Si je prends un domaine qui est celui de la migration par exemple, qui reflète une certaine vision de l’Afrique. L’Afrique change, l’Afrique évolue, mais la perception des autres vis-à-vis de l’Afrique est parfois négative, parce que des médias sont en train de propager des stéréotypes sur le continent africain. Les médias africains doivent porter l’image de la nouvelle Afrique à l’international, mais aussi aux Africains eux-mêmes. Donc je pense que des médias comme Africa24 ont cette possibilité de porter la réalité africaine aux Africains et au-delà vers les partenaires de l’Afrique. L’Afrique a évolué, l’Afrique a changé, l’afro optimisme doit régner au sein des Africains d’abord, et certains stéréotypes sur l’Afrique doivent changer à travers la communication et à travers les médias. Africa24 a fait beaucoup et pourra encore faire plus dans ce cadre-là. 

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