Albert Luba : le crayon qui dérange

Les accros de la caricature se régalent lorsqu’ils tombent sur les dessins d’Albert Luba Ntotila. Doué d’un pouvoir humoristique voire sarcastique, son crayon noir plonge dans un fou rire les lecteurs qui scrutent ses images. D’autres se sentent toutefois vexés par ses dessins qui dérangent. En témoignent les passionnés du  »Grognon », le traditionnel journal satirique congolais qui paraissaient à l’improviste. Aujourd’hui, Albert Luba sort au grand jour, cette fois comme bédéiste, à travers l’album « Le mystère de la Terre bleue » qui sera porté sur les fonts baptismaux ce jeudi 20 janvier 2022 à Sultani Hôtel.

Passionné pour les bandes dessinées dès le bas âge, Albert Luba Ntotila ne s’attendait  pas à émerger dans l’univers des caricaturistes. Surtout pas en République démocratique du Congo où ce métier semble ne pas prédestiner à nourrir son homme. Mais pour Luba, la passion était plus forte que la raison.

C’est dans ce cadre qu’on l’a vu illustrer des tas et des tas de pages des  satiriques locaux comme  »Séringue »,  »Pilipili »,  »Pot-pourri »,  »L’Intrus »,  »Canard déchainé »… où ce caricaturiste congolais a laissé ses empreintes.

Né le 12 août 1966 à Kikwit, la principale ville de la province du Kwilu,  ce garçon timide s’est épris de bandes dessinées d’auteurs locaux qui produisaient des planches dans des magazines tels  »Jeunes pour jeunes »,  »Apolosa »,  »Kikwata »… qui, aux années 70, captivaient l’attention de tout petits.

« J’étais tellement emporté quand je dessinais »

Loin de se contenter de lire, Albert Luba se plaisait à reproduire ces dessins qui le faisaient marrer. Sa touche était telle que, durant tout son cursus scolaire, il est devenu une référence pour ses enseignants de dessin. Dans ses heures perdues, il se consacrait à peaufiner ses croquis et à se projeter dans l’univers imaginaire de la bande dessinée.

« J’étais tellement emporté quand je dessinais, quand j’avais mon crayon en main au point où un jour, mon père m’avait giflé, énervé de constater que je passais plus du temps à griffonner sur des paperasses qu’à étudier mes leçons. Ma mère, cependant, ne voyait pas les choses de la même manière. Elle est vite venue s’interposer en tâchant de faire comprendre à mon père qu’il étouffait mon talent« .

« Mon père s’opposait, ma mère m’encourageait »

 Troisième d’une famille de cinq enfants, dont quatre garçons et une fille, Albert Luba s’était plus inspiré de son frère aîné qui était aussi fort dans le dessin. Après son décès, il a décidé de continuer à porter le flambeau, quels que soient les obstacles. La sévérité du père n’aura rien changé. Bien au contraire.

« Mon père voulait m’envoyer au séminaire, comme il me trouvait silencieux, introverti… Ne voulant pas que je sois artiste, il s’opposait à me voir dessiner. Contrairement à ma mère qui continuait à m’encourager, au point de m’inscrire à l’Académie des Beaux-arts, une fois à l’université. Elle était très fière de me voir dessiner, trouvant mes dessins fantastiques« , raconte Albert Luba.  

Loin de se cantonner à ses planches,  la mère d’Albert  le soutenait même quand son fils timide s’est lancé dans la musique. « Ma maman m’assistait quand je devais me faire coiffer et veillait sur mon habillement, me rappelant que j’étais toujours propre et élégant depuis mon enfance« , nous confie-t-il.

Dompté, le père devint le complice du fils

Mais, ironie du sort, au fil du temps, le père d’Albert Luba a fini par être dompté par le talent artistique de son fils. Surtout lorsqu’il a commencé à gagner de grands marchés pour ses dessins et peintures murales. Vite, il devenait utile à la famille, intervenant dans la prise en charge de plusieurs frais. Dès lors, le père est devenu un soutien, voire un complice du fils.

Toujours coquet, dissimulant son regard derrière ses lunettes, Albert Luba vit désormais du dessin et il en est fier. Passionné par son métier,  il tâche de se perfectionner de jour en jour.  Depuis l’an 2020 en effet, il s’est procuré une palette graphique qui l’aide à affiner ses nouvelles notions en dessin numérique.

Aujourd’hui, grâce à ses collègues de l’ADEP (Association des Dessinateurs de Presse), il collabore à un projet ambitieux qui bénéficie du concours de la Fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung.

Dénommé « Biso nyonso tokanisa », ce projet s’attèle à former la relève des caricaturistes de Kinshasa, à travers la Caricakin, jeune association qui a été au cœur d’une exposition mi-décembre 2021 au Musée national, dans la capitale. L’occasion sera propice pour faire découvrir au monde le catalogue de cette nouvelle crème artistique. Yves KALIKAT

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