En République démocratique du Congo, les relations entre l’Eglise catholique et les dirigeants du régime ont été particulièrement orageuses en 2021. Faute de consensus, un bras de fer a envenimé les rapports entre les deux parties à propos notamment des sujets qui fâchent : la désignation de Denis Kadima à la tête de la Centrale électorale, les couacs dans la mise en œuvre de la gratuité, les philippiques dans certaines homélies de la hiérarchie catholique… Bravant le pouvoir, le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu s’est révélé un opposant de poigne, de la trempe de ses prédécesseurs, les Cardinaux Joseph Malula et Laurent Monsengwo Pasinya.
Connu pour son franc-parler, l’archevêque métropolitain de Kinshasa n’a pas changé d’un iota son discours face au pouvoir en place. Sévère à l’égard du régime Kabila lorsqu’il officiait encore comme Vice-président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, le Cardinal Fridolin Ambongo se montre encore plus strict face à l’entourage de Félix Tshisekedi lorsqu’il croit dénicher des dérapages.
En le nommant, à 58 ans, archevêque coadjuteur à Kinshasa, aux côtés du cardinal Monsengwo, de vingt ans son aîné, le Pape François préparait déjà à la succession l’ex-évêque de Mbandaka-Bikoro à travers cette décision prise en février 2018. Très vite, le tout frais Cardinal Fridolin Ambongo s’attèle à imprimer ses marques, lui qui s’était montré conciliant face au nouveau pouvoir lors de son sacre le samedi 6 octobre 2019 à Rome.
Vent-debout contre l’esprit de »congolité »
Indigné par le débat sur »la congolité », véhiculé par une proposition de loi visant à restreindre l’accès aux fonctions régaliennes, comme « le président de la République », exclusivement réservées aux Congolais de père et mère, l’archevêque métropolitain de Kinshasa brise le silence face à cette manœuvre, destinée à écarter du scrutin des candidats populaires issus de couples métissés.
Dans un tweet publié le samedi 10 juillet 2021, le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu condamne cette proposition de loi relative à la nationalité congolaise, conçue par Noël Tshiani et déposée à l’Assemblée nationale par le député Pitshou Nsingi Pululu.
Invité à la prise de possession canonique du siège de Lubumbashi par Mgr Fulgence Muteba, récemment sacré archévêque métropolitain de capitale du cuivre, le cardinal Ambongo lève le ton : « C’est pour moi l’occasion, au nom de l’Episcopat et du peuple congolais, de stigmatiser le dangereux projet de loi sur la « congolité » qui ne promeut point la cohésion nationale tant souhaitée. Ce projet de loi, au lieu d’unir le peuple de Dieu dans une seule famille, apparait comme un instrument de l’exclusion et de la division« .
« Avec le nouvel archevêque, je vous exhorte à résister aux discours de haine et aux initiatives qui excluent et divisent le peuple de Dieu, renforçant ainsi la méfiance entre les communautés. Encouragez plutôt le sentiment et le bonheur de vivre ensemble« , martèle le prélat catholique, rejetant ainsi l’initiative du député national Pitshou Nsingi Pululu qui avait déposé, le jeudi 8 juillet, à l’Assemblée nationale, la proposition de loi de Noël Tshiani relative à la nationalité congolaise.
« Non aux privilèges d’un petit groupe »
Lors des obsèques du Cardinal Laurent Monsengwo, le mardi 20 juillet 2021 au Palais du Peuple, l’archevêque métropolitain de Kinshasa dégaine de nouveau contre les tenants du pouvoir, dans une assistance marquée par la présence des deux présidents congolais, Félix Tshisekedi et Denis Sassou Ngouesso. Critique, son homélie a tout l’air des »philippiques ».
« L’œuvre de Dieu pour la renaissance du Congo, mais aussi du continent africain pour lequel le Cardinal Laurent Monsengwo a consumé toute sa vie, c’est de voir nos dirigeants ne pas se considérer comme des propriétaires de nos pays, mais comme d’humbles serviteurs de la nation pour le bien et le bonheur des populations« , a fait remarquer le cardinal Ambongo.
« La meilleure façon d’honorer la mémoire de ce personnage qui est Laurent, c’est de s’engager résolument pour que les richesses immenses dont Dieu a doté notre pays servent réellement au bien de nos populations et non à un petit groupe de privilégiés« , a déploré le Cardinal Ambongo.
Appel à l’abnégation et à la compassion
« On ne peut, selon lui, rendre hommage à la mémoire du Cardinal Laurent Monsengwo si on laisse la population croupir dans la misère, alors que le Gouvernement vit dans l’opulence et l’impunité. Honorer la mémoire du Cardinal Laurent Monsengwo, c’est aussi devenir des artisans de paix, de justice, de l’instauration de l’État de droit pour que le vivre ensemble dans la paix et la réconciliation nationale soit possible en Afrique et au Congo« .
« Notre cher Père Tata Cardinal Laurent Monsengwo peut se reposer de ses labeurs, avec ses œuvres si nombreuses, accomplies avec abnégation et compassion, sans recherche de l’avoir, ni du pouvoir, seulement pour l’amour de Dieu et des hommes. Ses œuvres le suivent et parlent en sa faveur dans nos cœurs. Avec une vie si riche en témoignages d’amour et de donation totale au Christ et autres, ses frères et sœurs, le Cardinal Laurent Monsengwo ne pouvait autrement terminer sa vie que dans le Seigneur« .
Ambongo dénonce le choix de Denis Kadima chez Sassou
L’épisode Denis Kadima à la tête de la Commission électorale nationale indépendante viendra de nouveau jeter l’huile au feu. A la suite du Secrétaire général de la CENCO, l’abbé Donation Nshole d’alors, le Cardinal Fridolin Ambongo n’hésite pas à décrier les manigances concoctées par le Régime pour conserver le pouvoir aux prochaines échéances électorales. Et sur ce plan, le successeur du Cardinal Monsengwo ne garde pas sa langue dans la poche.
En visite fin octobre 2021 à Brazzaville, le cardinal Fridolin Ambongo est allé prendre les conseils du président Denis Sassou Nguesso sur la crise née de la désignation controversée du nouveau président de la CENI. Le prélat catholique a clairement dit son désaccord sur ce choix qui risque, selon lui, de constituer un germe de contestation de la présidentielle de 2023. « Notre position est très claire, notre avis est contre le choix de celui qui a été investi par l’Assemblée nationale et confirmé par le Président de la république« , a-t-il déclaré à Radio France Internationale au sortir de son audience avec le président Sassou Nguesso.
« Nous, Eglises catholique et protestante, qui constitue quand-même plus de 90% de la population de la République démocratique du Congo, nous avons dit au président Félix Tshisekedi que ce n’est pas un bon choix. Parce que nous tenons beaucoup à l’indépendance de la CENI. Et, il n’est pas bon que le président d’une telle institution soit trop proche de celui qui est au pouvoir. Il ne nous a pas écoutés et a décidé de confirmer celui-là. Mais, nous sommes préoccupés parce que ça risque de constituer une espèce de germe de contestation pour les élections de demain« , a martelé Fridolin Ambongo.
Du bras de fer à la conciliation
Catholiques et protestants, religions largement majoritaires, ont maintes fois affirmé leur opposition au fait que Denis Kadima -confirmé le 22 octobre- prenne la direction de la Ceni, en raison de sa proximité avec le président Tshisekedi. Celui-ci a confirmé la nomination de Denis Kadima à la tête de la Commission électorale nationale indépendante en dépit de l’opposition de deux des huit confessions religieuses – catholiques et protestants – ainsi que des partis d’opposition et même de certains des membres de l’Union sacrée, comme Moïse Katumbi et Vital Kamerhe. Comme l’Eglise catholique, l’Église protestante a rompu avec les six autres confessions religieuses qui ont porté et soumis la candidature de Denis Kadima à la tête de la Centrale électorale.
Il aura fallu attendre la descente du Premier Ministre Sama Lukonde, du président du Sénat Bahati Lukwebo, de celui de l’Assemblée nationale Christophe Mboso et de François Beya, Conseiller spécial du Chef de l’État en matière de sécurité, chez Ambongo le mardi 23 novembre 2021 pour voir la tension baissée. Ces émissaires de Félix Tshisekedi sont allés discuter sur les sujets à la base de discorde entre l’Eglise catholique et le pouvoir en place après la mise en place du bureau de la CENI.
D’après Fridolin Ambongo, les choses ont été clarifiées afin de répartir sur des bases nouvelles. « L’Eglise comme l’État, nous sommes au service du même peuple. Nous avons intérêt à conjuguer nos efforts pour travailler main dans la main en vue d’aller de l’avant, afin que notre peuple puisse vivre dignement, de façon ramassé« , a conclu le Cardinal Ambongo. Est-ce la fin des hostilités? Réponse en 2022. K.M.