*Ce passionné de l’aviation a fini sa carrière aux commandes du Boeing 727 de la compagnie Serve Air au sein de laquelle il a presté pendant 11 ans.
Quand Aubert Buhake a atterri à N’Djili, dimanche 12 décembre 2021, en provenance de Lubumbashi, le commandant de bord a été accueilli par une salve d’applaudissements. Et une haie d’honneur. Pour ce dernier vol Kinshasa-Lubumbashi-Kinshasa avant la retraite, sa famille professionnelle lui a rendu un ultime hommage sur le tarmac. A Kinshasa comme à Lubumbashi. Le moment a été salué par le chanson « alongi na yee « , entendez » mission accomplie » très célèbre dans les manifs populaires à Kinshasa. Sa simplicité, sa bonne humeur et sa rigueur ont égrené plus de 30 ans de carrière passée dans les airs. La passion de toute une vie, qu’il aimerait transmettre aux futures générations. Il faut dire qu’ils’intéressait à l’avion depuis sa jeune enfance. « Tout petit, on allait si souvent avec des amis à l’aérodrome voir des avions qui attérissaient et décollaient à Ilebo, au Kasaï », raconte-il. La passion était née. Un jour, au chevet de son père malade, il lui fait part de son envie de faire des études de pilotage. « Tu seras tout ce que tu voudras« , lui avait répondu le père. La suite, on la connait. Aubert Buhake a passé plus de 30 ans de sa vie dans les airs. 20 000 heures exactement. Les plus belles histoires ont toujours une fin et c’est aussi le cas de Aubert Buhake qui a mis, hélas, fin sa à carrière le 12 décembre courant. Une carrière dont le premier vol a eu lieu à Fort Worth, au Texas aux USA en 1981. Tout au long de sa vie professionnelle, le commandant Aubert Buhake a piloté plusieurs types d’avions. Du Jet Stream31 au HS 125 en passant par Falcon 50, Boeing 727, 707, 757,767 et L1011, il aura tout piloté. Il a sillonné toute la RDC, une bonne partie de l’Afrique, de l’Amérique et du monde. Pour le jeune retraité, s’il avait à refaire, ce ne serait pas autre chose que piloter un avion, car pour Aubert Buhake, c’est le meilleur boulot au monde. Interview.
Comment de la section littéraire vous êtes devenu pilote ?
Après mes études primaires à Ilebo, je suis allé au secondaire à Bulongo (mission catholique à 15 km de Mweka) chez les Pères joséphites où seules les Humanités littéraires avaient un cycle complet. J’ai été orienté, malgré moi, vers la section littéraire au regard de mes bons résultats. Je me souviens, j’avais pleuré parce qu’on me retenait en littéraire. Car, devenir pilote était mon rêve d’enfance. Mais le prêtre m’a rassuré que ça ne change rien. Que je pouvais finir en littéraire pour aller faire la médecine ou autre chose. Nous avons des anciens élèves qui ont fini ici et qui sont allés poursuivre des études scientifiques et polytechniques. Et c’est vrai. Cela m’a encouragé. Je suis resté. J’y ai pris goût. C’est ainsi que quand je termine les humanités, je vais faire la PREU (centre pré-universitaire) à Kananga, une sorte de propédeutique science.
Et après la PREU ?
De là, je vais à Kinshasa où je retrouve les amis avec qui j’étais à la PREU qui m’informent qu’Air-Zaïre est en train de recruter des élèves pilotes à envoyer en formation à l’étranger. J’ai tenté, cela n’a pas marché. Sans me décourager, je suis allé en Chimie à la Faculté des Sciences à l’Unikin. Malheureusement à la suite des troubles des étudiants, le campus fut fermé.
Le rêve s’était alors effondré ?
Non. Avec les amis nous avions commencé à fréquenter l’aéroclub de N’dolo. C’est là que je fais la connaissance des jeunes gens qui venaient de finir leurs études de pilotage aux USA. Ils m’ont expliqué que je pouvais prendre une inscription depuis Kinshasa. J’ai écrit et cela a marché. Avec mon inscription en poche, je suis allé à Ilebo au chevet de mon père malade. Je lui dis que je voudrais devenir pilote. Il m’a répondu, et je n’ai jamais oublié ça: « tu deviendras tout ce que tu voudras« . Et quelques semaines plus tard, il est décédé. Après le deuil je suis rentré à Kinshasa continuer mes démarches. J’ai obtenu mon visa et je suis allé à Texas rejoindre les amis qui m’avaient précédé.
Quelles formations aviez-vous suivies sur place au Texas?
En dehors de mes brevets de pilote, j’ai obtenu un « Associate of Science in aeronautical technology » (l’équivalent d’un graduat en technologie aéronautique) plus une licence de mécanicien avion, cellule et moteur. J’ai eu l’occasion de me faire engager à partir des USA à la Gécamines en 1989 après des tests psycho-techniques et pratique à l’aéroport de Bruxelles. Je suis rentré et j’ai commencé à voler à la Gécamines. Ça c’est le début de ma carrière.
Mon premier avion que j’ai piloté à la Gécamines est le Jet Stream 31 (un turbo propulseur) après un stage de formation en Angleterre. Puis je passe sur le HS125, mon premier turbo réacteur. Ensuite, je passe sur le Falcon 50, un tri-réacteur de fabrication française pour lequel j’ai suivi une formation à l’aéroport de Paris-Le Bourget. Car en pilotage à chaque type d’avion correspond une formation.
Et après ?
Je suis venu à Kinshasa où j’ai suivi les cours théoriques sur le « Boeing 727 » dans un Centre pour ensuite faire des simulateurs aux USA. C’est ainsi que j’ai commencé à voler sur le « Boeing 727″ chez « Blue air Line ». Plus tard, la Gécamines fait à nouveau appel à nous avec le « Falcon 50″. Et puis cette fois-ci, j’ai quitté définitivement la GCM pour travailler chez « Hewa Bora » sur le « Boeing 727 » (un turbo-réacteur à trois moteurs) comme j’avais déjà la qualification. Six mois plus tard, je passe sur le « Boeing 707« (un quadri- réacteur).
Du 707, j’ai volé sur le « L1011 », un avion avec lequel on reliait Kinshasa à Bruxelles, un triréacteur qui pouvait transporter à peu près 345 passagers. Après j’ai quitté « Hewa Bora« , je suis rentré aux USA. Là, j’ai trouvé une autre opportunité pour le même type d’avion pour aller me baser au Liban pendant la guerre avec Israël. Mon contrat étant échu, je suis retourné aux USA où j’ai piloté le Boeing 757 et 767 pour le « North American Airlines« , une compagnie établie à New York. Quelques années plus tard la compagnie tombe en faillite. Je reviens en RDC. Je rentre chez « Hewa Bora » et je vole encore sur le « Boeing 727″. C’est de la que je suis engagé chez Serve Air, la compagnie que je viens de quitter le dimanche 12 décembre courant après 11 ans de service.
Vous prenez votre retraite le jour de votre naissance. Comment expliquez-vous cela ?
Effectivement j’ai effectué mon dernier vol le 12 décembre 2021, un vol aller-retour Kinshasa-Lubumbashi, le jour de mon anniversaire. Nous faisons des examens médicaux chaque six mois. Mon examen médical expirait à la date de ma naissance. Et comme à cette date je totalisais 65 ans, qui est l’âge requis pour la retraite, je ne pouvais plus continuer…
Comment aviez-vous vécu votre dernier vol?
Ce vol étant mon tout dernier, j’étais partagé entre la joie et la tristesse. Les amis, l’avion, vont me manquer. C’est la tristesse. Mais quand je regarde les projections à l’avenir, toutes aussi intéressantes,- parce que je peux toujours être utile à la nation tout en restant dans le domaine, – le sentiment est finalement un peu mixte.
Mais pour tout dire, c’était un vol très agréable. La météo était bonne. J’arrive à l’aéroport de Lubumbashi, c’est tout le monde qui chantait « alonginayeeeee, alonginaye « . Et de retour à Kinshasa, c’est la même ambiance…
Vos souvenirs?
Mon premier bon souvenir c’est mon engagement à la Gécamines. Ma première rencontre avec la vie professionnelle. J’ai vraiment aimé. Un de mes meilleurs boulots. ..
Aviez-vous connu des pannes au cours d’un vol?
Naturellement. Des pannes, j’en ai vécu. Il faut noter que quand nous allons aux entrainements, on nous apprend comment gérer les pannes. C’est pourquoi, il y a des recyclages chaque année. Il y en a qui vont même deux fois par an. Le pilotage c’est quelque chose déjà préparé. Vous devez vous en tenir aux procédures. En vous en tenant à cela, vous respectez les normes de sécurité. Par exemple quand un constructeur vous dit que pour son avion, l’angle ne doit pas dépasser 15 degrés, il faut l’observer. A moins que quelque chose vous arrive qui est impossible à gérer. Et même pour des choses qui paraissent difficiles à gérer,le constructeur a prévu des procédures pour vous aider à vous en sortir. Quand on regarde les statistiques, l’avion devient le moyen le plus sûr.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui désirent embrasser la même carrière que vous ?
J’ai toujours encouragé des jeunes congolais qui veulent embrasser la carrière de pilote parce que d’abord, nous ne sommes pas nombreux. La chose que je leur dis souvent, c’est d’être disciplinés, veiller à sa santé mentale et physique et d’être studieux parce que la base est très nécessaire. Tout part de la base. Quand celle-ci est bonne, le reste suit. Il faudra maitriser la langue dans laquelle les cours se donnent.
Vous allez à la retraite, quel est votre Plan B ?
Ce qui m’intéresse le plus c’est de partager mon expérience aux générations qui viennent.
Si vous aviez à refaire ?
Je ferai la même chose. Je n’ai pas trouvé un autre métier plus beau. C’est le métier le plus beau du monde. La partie qui va me manquer c’est celle-là. Je me suis déjà préparé mentalement. Propos recueillis par Didier KEBONGO et DB