Ces grands K au secours de Fatshi

(Une chronique du Prof Voto)

Le pouvoir a ses mystères et ses destins. Ces mystères peuvent être liés aux dates, aux lieux, aux noms, aux chiffres, aux lettres qui s’attachent à l’homme au pouvoir.

Ainsi, le pouvoir de Mobutu a-t-il été marqué par le chiffre 4  et il en était conscient. Il est né le 14 octobre et prend le pouvoir le 24 novembre. Il prononce son discours historique aux Nations Unies le 04 octobre, et se décide de libéraliser la scène politique en prenant congé du Mpr le 24 avril. Il en est de même de son  prénom Joseph-Désiré. Des cinq présidents que le Congo a connus, trois sont des Joseph et deux sont des Désiré.

Si le pouvoir de Mobutu a été marqué par le chiffre 4, celui de Félix Tshisekedi est soutenu par la lettre K.

 A chaque fois que Félix Tshisekedi est en mauvaise posture, il y a une personnalité ou une organisation en lettre K qui lui vient au secours.

KABUND ET LAMUKA

A la veille des élections de 2018, les sept fondateurs de Lamuka se retrouvent en novembre à Genève pour une concertation en vue de choisir un seul candidat face au camp Kabila. A l’issue d’un système de vote compliqué, Martin Fayulu est désigné candidat unique de l’opposition. Après cette désignation, Félix Tshisekedi qui a déjà abandonné déclare : «le changement s’appelle Martin Fayulu.» A la question  si jamais l’UDPS disait non à ce choix, il répond : «Alors ils n’ont qu’à se choisir un autre candidat».

Mais c’était sans compter avec Kabund, alors Secrétaire Général du parti qui ne se sent  en rien concerné par ce choix. Il déclare que l’UDPS aura son candidat à l’élection présidentielle et menace Tshisekedi de sanction. Devant cette pression, Tshisekedi recule au nom de la base et estime avoir été envoûté pour prendre une telle decision. Quant à la controverse autour de la machine à voter, Kabund déclare : «Avec ou sans machine à voter, nous irons aux élections». Ce qui permit à Félix Tshisekedi de rentrer dans la course à la présidentielle de 2018.

KAMERHE ET LE CACH

Tshisekedi renonce à sa signature de l’accord de Genève, mais ne peut aller seul à l’élection présidentielle. C’est là où Vital Kamerhe qui quitte également Lamuka lui promet son soutien et se retire en sa faveur. Ils  forment la coalition CACH et signent un accord à Nairobi où Kamerhe accepte de se retirer de la présidentielle de 2018 avec promesse d’être soutenu par Félix Tshisekedi en 2023. Kamerhe est désigné directeur de campagne et offre à Tshisekedi sa base et ses relations. 

KABILA ET LE FCC

A l’issue de ces élections, Tshisekedi est proclamé Président; mais c’est le camp Kabila qui a la majorité à l’Assemblée nationale. L’UDPS ne peut donc pas former seul le gouvernement. Avec les contacts de Kamerhe, Tshisekedi signe avec le FCC de Kabila un accord de coalition gouvernementale, labellisé FCC-CACH.

KYUNGU ET LE KATANGA

Pour  affirmer son pouvoir sur toute l’étendue du grand Congo, le nouveau Président doit faire face à certaines réalités dont la méfiance des Katangais qui viennent de perdre le pouvoir et avec qui les Kasaïens ont eu un passé douloureux. Mais c’est Kyungu wa Kumwanza qui fut l’un des acteurs de la chasse aux Kasaïens au Shaba vers la fin des années Mobutu qui se convertit en néo-tshisekediste. Il se rappelle la genèse de l’UDPS dont il est l’un des 13 fondateurs encore en vie et soutient sans ambages «son fils» Félix Tshisekedi. Le très respecté « Baba du Katanga » demande aux Katangais de faire de même. Il n’y a donc pas eu plus hostile aux Kasaïens que Kyungu. Et donc, s’il soutient Félix Tshisekedi, c’est que ce dernier est désormais le bienvenu sur la terre de Tshombe.

KALUBA ET LA COUR

Le directeur de cabinet Vital Kamerhe  propose à Félix Tshisekedi le lancement du programme de 100 jours qu’il se propose de  piloter afin de réaliser des ouvrages à impacts visibles et marquer le début de mandat du Président. Mais la gestion de ce programme tourne au vinaigre et débouche sur le plus grand procès sous Tshisekedi où Vital Kamerhe est jugé pour  détournement des millions de dollars destinés à ce programme. Le président est partagé entre la nécessité de protéger son allié Vital Kamerhe et l’obligation de réaffirmer l’État de droit qui constitue le cheval de bataille de son quinquennat. Il prend la seconde option et c’est l’avocat de la République Kaluba qui porte l’affaire pour démontrer que Vital Kamerhe est l’auteur intellectuel du détournement de deniers publics. Vital Kamerhe est condamné au premier degré, ce qui remet en question l’accord de Nairobi. 

Mais un autre dossier judiciaire est en cours. Il faut remplacer le président de la Cour constitutionnelle, Bernard Luamba, un proche de Kabila qui vient de démissionner. Un poste stratégique qu’il ne faut confier à n’importe qui. L’avocat Kaluba a fait  preuves de compétence dans l’affaire Kamerhe. Professeur de droit à l’Université de Kinshasa, il présente un bon profil et pourquoi pas ? Il est désigné président de la Cour constitutionnelle, juridiction appelée à statuer sur les contentieux de l’élection présidentielle.

KATUMBI ET L’UNION SACREE

Après deux ans de cogestion avec le FCC, Félix Tshisekedi conclut à l’impossibilité de gouverner ensemble, compte tenu de ce qu’il qualifie de mauvaise foi de ses partenaires. Il se propose de dissoudre la coalition FCC-CACH en décembre et mettre en place l’Union sacrée en identifiant une nouvelle majorité parlementaire. Un projet qui paraît juridiquement et politiquement irréalisable pour le camp Kabila. Mais, contre toutes attentes, Tshisekedi se tourne vers ses anciens amis de Lamuka. Katumbi et Bemba répondent à l’appel, donnant du crédit à ce qui paraissait jusque-là utopique. Le FCC se vide et la nouvelle coalition dénombre plus de 300 députés. Le premier ministre FCC Ilunga Ilunkamba est contraint de déposer sa démission et un nouveau gouvernement dit de l’Union sacrée est mis  en place.

KADIMA ET LES KIMBANGUISTES

A deux ans des élections, il y a nécessité de restructurer la Ceni et de  nommer des nouveaux animateurs. Mais le poste clé reste celui du Président de la centrale électorale. Celui-là même qui doit proclamer les résultats provisoires des élections avant leur validation par la Cour constitutionnelle. Le FCC conscient des enjeux s’organise pour y placer un proche, Ronsard Malonda. Mais une dynamique nationale  donne des arguments à Félix Tshisekedi pour ne pas signer l’ordonnance le désignant, après entérinement par une Assemblée nationale à majorité FCC.

Les confessions religieuses doivent proposer une autre personnalité et la procédure veut que chacune des huit confessions religieuses propose un candidat. Les enjeux sont de taille. C’est ici que l’église Kimbanguiste, la même qui avait proposé  Malonda jugé proche des Kabilistes, va cette fois proposer Kadima, un profil techniquement incontestable mais que les Protestants et les Catholiques jugent proches de Félix Tshisekedi. 

A l’issue des interminables tractations pour concilier les points de vue des confessions religieuses, la candidature de Kadima sera entérinée par l’Assemblée nationale cette fois dominée par les pro Tshisekedi; et Kadima sera nommé président de la Ceni par ordonnance présidentielle. Pour les pro Tshisekedi qui ont soutenu cette désignation, mieux vaut Kadima que quelqu’un d’autre. On ne sait jamais.

KABUYA ET LES «WEWAS»

Si la désignation de Kadima est saluée par les Tshisekedistes, elle est l’objet d’une forte contestation de la part des Catholiques et des Protestants qui déclarent que cette candidature a été entachée de corruption et de menace et a fait l’objet d’un forcing au niveau de l’Assemblée nationale dirigée par l’Union sacrée. Aussi, Lamuka et le FCC, auxquels  s’est joint le parti Ensemble de Moise Katumbi,  font front commun avec les deux églises pour planifier des marches dans le but d’obtenir l’annulation de la désignation de Kadima.

Face à cette mobilisation, Augustin Kabuya, Secrétaire général de l’UDPS ne se tait pas. Il répond au coup sur coup et rappelle aux autres qu’ils n’ont pas le monopole de la rue. Bien au contraire, il menace de mobiliser la base pour une démonstration de la force de son parti sur terrain. Les menaces de Kabuya semblent porter du fruit, car le regroupement en face envisage  le report de la marche prévue initialement le 06 novembre.

KASAIENS ET KINOIS

En défiant le regroupement des forces de l’opposition et les deux églises, Kabuya sait que les conducteurs des motos taxis communément appelés wewas, pour la plupart ressortissants du Kasaï, sont bien mobilisés pour défendre ce qu’ils appellent «notre pouvoir», eux qui se sont tous proclamés de la  «famille présidentielle», allusion faîte aux origines sociologiques du Chef de l’État. Ils étaient les premiers à sortir dans la rue pour fêter la victoire de Tshisekedi en 2018, pendant que les autres se donnaient le temps de comprendre et de digérer ces résultats. Ils ont depuis transformé les parkings des motos en cellules de l’UDPS. En attendant l’arrivée des  clients, l’un d’eux harangue les autres par le slogan « UDPS ViVA !». Ils ne se gênent pas de parler en Tshiluba, assuré que «wewa» est égal à Moluba.

Mais en réalité, l’UDPS n’est pas que l’affaire des Kasaïens. Après le Kasaï, Kinshasa a toujours été la province où le parti d’Étienne Tshisekedi est le mieux implanté et Félix peut encore compter sur une bonne frange des Kinois; surtout qu’il a aujourd’hui les moyens d’entretenir le parti. Il en a fait la démonstration au retour de son dernier périple européen.

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