(Une méditation citoyenne de Frank FIKIRINI MWENE-MBAYU)
Le discours politique à la mode en République Démocratique du Congo fait des vagues et des émules dans le microcosme politique du pays. Si son corrélat social tarde à se manifester, il n’est cependant pas de doute que la communication y relative se montre des plus sagaces.
Plus rien, en effet, n’est fait sans qu’on en réfère au slogan «Etat de droit». Même les artistes comédiens y ont mis du leur, assaisonnant à la sauce ludique, les faits saillants de l’actualité politico-judiciaire, tout particulièrement.
On peut déjà se demander si la proportion est bien gardée entre les deux pôles du binôme «bien faire» et «le faire savoir», principiel de la communication politique. On a parfois l’impression que l’on fait trop savoir ce qu’on n’a même pas fait. Ma foi, on annonce quand-même qu’on le fera. Du coup, se multiplient les effets d’annonce, d’éternels «ongoing projects» (entendez : projets non-aboutis, considérés comme étant toujours en cours du simple fait qu’ils aient été annoncés), pour emprunter cet euphémisme repris de la langue de Shakespeare. Le pays stagne-t-il ? Recule-t-il ou avance-t-il ? Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de réponse unanime à ces questions. Preuve, s’il en faut, que les faits ne sont pas de nature à stopper toute spéculation. C’est le moins qu’on puisse dire.
Au sujet de ce débat et de ceux qui lui sont apparentés, les structures communicationnelles pour leur part (pas que les médias, à l’heure de la diversification des communicateurs), donnent l’impression de ne point se préoccuper de la dimension «vérité». On les voit défendre mordicus chacun son camp à tout prix, et l’on sait que parmi ces prix, il y en a d’ignominieux. Nous voilà devant le cas de la première oubliée avant l’oublié repris en titre, à savoir : la morale qui, seule, relie le politique au peuple, à ses convictions profondes, à ses aspirations les plus légitimes justifiant, le cas échéant, ses récriminations les plus osées sous toutes les formes. Mais là n’est pas le sujet sur lequel je voudrais m’appesantir en cette réflexion.
Je voudrais souligner le fait que, dans la campagne actuelle pro-Etat de droit, on oublie souvent, sinon toujours, de joindre à ce slogan, l’épithète «démocratique». L’Etat de droit comme justification structurante de l’action politique, peut dériver vers autre chose que ce qu’il signifie fondamentalement, s’il n’est pas compris, à la fois par les gouvernants et les gouvernés, en son sens plénier d’Etat de droit démocratique. En ce dernier, le bon sens n’est pas que vertical. Il est aussi, et peut-être surtout, horizontal. C’est pourquoi le philosophe français d’origine juive Eric Weil considère, dans son ouvrage Philosophie politique (4ème édition, Vrin, Paris, 1984), que la vertu cardinale du gouvernant est la prudence, entendue au sens de capacité de concilier le rationnel et le raisonnable. En tout état de cause, il y a bel et bien communauté de responsabilité entre populations, tenants du pouvoir et aspirants à la gouvernance, en tout ce qui engage l’avenir, particulièrement en ce qui concerne les règles du jeu qui concernent la compétition destinée à départager ceux qui ambitionnent de servir l’Etat. A cet égard, la seule illumination du premier d’entre les citoyens ne peut suffire. Il faut un consensus. Le mot ne vaut pas qu’en vertu de l’actualité de son usage, je me dois de le souligner. Il faut donc l’entendre en son sens strict.
Entre le « ôte-toi de là que je m’y mette » et le « j’y suis et j’y reste » (de bonne guerre, cela s’entend), il doit y avoir un espace juridico-institutionnel rassurant pour tous, afin que le meilleur gagne devant Dieu et devant les hommes. Telle n’est malheureusement pas encore notre situation à l’avant-veille des échéances électorales de 2023 pour lesquelles tous les camps mobilisent d’ores et déjà moyens humains, financiers et techniques, avec comme présupposé stratégique : qui sera le meilleur tricheur. Ici également, la morale nous interpelle.
A l’heure de divergences radicalisées, peut-on encore prêcher la convergence, tout au moins parallèle (version Monsengwo, paix à son âme) ? Bien que l’exemple ne vienne pas d’où on était censé l’attendre, il faut encore oser espérer qu’il advienne tout de même de quelque part, oser «espérer contre toute espérance». Mais surtout, œuvrer pour que «l’espérance ne trompe pas».
Qu’adviendrait-il en effet si la nation n’avait plus rien à espérer ? Il suffit de se le représenter intelligemment pour s’imposer le devoir d’être « chiffonnier de l’espoir » (titre ô combien évocateur du recueil de poèmes du professeur Kasereka Mwenge). Collecter les débris des causes disputées à même d’accroître, pour le peuple, les raisons d’espérer en un avenir meilleur, par-delà les égocentricités des acteurs, me semble être aujourd’hui la tâche qui incombe aux gens de raison.
Pour cela, les passerelles sont encore exploitables et les compromis envisageables, sans aucun besoin de compromissions. Il suffit de redécouvrir les valeurs dites démocratiques qui, en fin de compte, sont simplement celles d’une coexistence pacifique des libertés, condition indispensable pour une intersubjectivité raisonnable – et responsable cela étant –, sans laquelle on voguerait dans le fameux «boma ngai, na boma yo, tobomana» (Léviathan) qui n’engendre in fine que désolation dans tous les camps, sans exception. J’imagine que c’est cela que certains acteurs ont appelé « éviter à la RDC ‘‘une rupture des équilibres nécessaires à sa survie’’ ». Auquel cas, cette admonition devrait être considérée comme relavant du bon sens, peu importe de quel camp antagonique elle provient.