INTRODUCTION
Le « Conseil d’Etat » est une institution récente en droit judiciaire de la RDC(1). Il fait son apparition dans la constitution de la RDC du 18 février 2006 (article 149, 154)(2). C’est une juridiction. C’est la juridiction placée au sommet des juridictions de l’ordre administratif jusque-là ignorées en droit Congolais.
Lesdites juridictions sont, outre le Conseil d’Etat, les Cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs. Leurs organisation, compétence, fonctionnement sont portés par la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016. (3)
S’agissant de compétence, le Conseil d’Etat est doté des compétences propres en matière consultative et en matière contentieuse (articles 82 à 93 de la loi organique). En cette dernière matière, le Conseil d’Etat connaît, en premier et dernier ressort, des recours pour violation de la loi formés contre les actes, règlements et décisions des autorités administratives centrales, de l’appel des recours contre les décisions des Cours administratives d’appel et dans le cas où il n’existe pas d’autres juridictions compétentes, des demandes d’indemnité relatives à la réparation d’un dommage exceptionnel matériel ou morale résultant d’une mesure prise ou ordonnée par les autorités de la République.(4) Le Conseil d’Etat connaît aussi, pour les mêmes motifs, des recours en annulation formés contre les actes, règlements ou décision des activités des organismes publics placés sous la tutelle des autorités administratives centrales ainsi que ceux des organes nationaux des ordres professionnels. (5)
Il (Conseil d’Etat) connaît en outre des pourvois en cassation pour violation de la constitution, du traité international dûment ratifié, de la loi, de l’édit, de la coutume, des principes généraux du droit et du règlement dirigés contre les arrêts et jugements des juridictions administratives de droit commun ou contre les décisions des juridictions administratives spécialisées.(6)
Près le Conseil d’Etat comme près chaque juridiction de l’ordre administratif est institué un parquet (7) qui constitue le ministère public doté des prérogatives ou compétences fixées par la loi organique.
Aux termes de l’article 33 de la loi organique, le ministère public intervient par voie d’avis. Il intervient par voie d’action dans les cas de renvoi pour cause d’utilité publique, de révision et de pouvoir dans l’intérêt de la loi.
En outre le Procureur Général près le Conseil d’Etat dispose du droit de surveillance et d’inspection sur les parquets près les Cours administratives d’appel et sur les parquets près les tribunaux administratifs ; il prononce une mercuriale à l’audience solennelle de rentrée du Conseil d’Etat et peut, s’il le juge nécessaire, siéger sans voix délibérative aux audiences ordinaires du Conseil d’Etat.(8) Enfin, le Procureur Général près le Conseil d’Etat règle l’Ordre intérieur ainsi que la tenue des registres du Parquet près le Conseil d’Etat.(9)
Il résulte de ce qui précède d’une part, que le Conseil d’Etat ne peut pas statuer une matière de droit privé et d’autre part que les prérogatives du Procureur Général près le Conseil d’Etat sont différentes de celles du PG près la Cour de cassation ainsi que celles du PG près la Cour constitutionnelle. Il est enseigné que dans le contentieux administratif de Ministère public ne représente pas l’Administration mais il est appelé à donner un avis en toute cause en laquelle l’Administration est partie.(10)
Récemment, cependant, la presse a publié des informations assez surprenantes sur le Conseil d’Etat. Il y a eu des titres comme «Election à la FEC: le Conseil d’Etat peut-il statuer sur les ASBL ?» et «Réélection d’Albert YUMA : Bras de fer entre la FEC et le Conseil d’Etat.(11) Un autre journal a écrit : « Dossier FEC : le Conseil d’Etat signe scandale.(12)
A la lecture de la décision du Conseil d’Etat à laquelle se réfère la presse, on s’avise qu’il y a eu confusion entre «syndicat» et «ordre professionnel». Une autre confusion a existé au niveau du Parquet Général près le Conseil d’Etat.
I. Confusion entre Syndicat et Ordre professionnel
Nous nous limiterons à indiquer la définition du Syndicat et la liste des ordres professionnels existants en République Démocratique du Congo.
a) Définition du Syndicat
D’après Madame S. CORNIOT, le Syndicat est un groupement de personnes exerçant une même profession qui s’unissent en vue de défendre leurs intérêts communs (13) autrement dit, il s’agit d’un groupement de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes, en vue de la défense de leurs intérêts professionnels(14). Il se déduit de cette définition que le Syndicat est créé par des individus-personnes physiques ou morales qui s’unissent pour la défense de leurs intérêts professionnels. On peut citer, à titre d’exemple, le Syndicat des magistrats, …, le Syndicat des Enseignants du Congo – le SYECO ; le Syndicat de médecins, …, la Fédération des Entreprises du Congo – FEC, etc.
b) L’Ordre professionnel
Par contre, l’Ordre professionnel est créé par la loi. Nous nous limiterons à énumérer les Ordres professionnels qui existent en RDC en indiquant des textes de loi portant leur création.
Il s’agit de :
1) L’Ordre des avocats, autrement appelé le Barreau. Il a été institué par le Décret du 7 novembre 1930 (15) abrogé par l’ordonnance – loi (OL) n°68/247 du 10 juillet 1968 portant organisation du Barreau, du corps des défenseurs judiciaires et réglementation de la représentation et l’assistance des parties devant les juridictions (16) abrogée par l’O.L n°79-28 du 28 septembre 1979 portant organisation du Barreau, du corps des défenseurs judiciaires et des corps mandataires de l’Etat.(17)
2) Ordre des médecins, créé par l’O.L n°68/070 du 1er mars 1968 créant l’ordre des médecins modifiée par l’O.L n°70/028 du 30 avril 1970 (18)
3) Ordre des Pharmaciens. O.L n°91-018 du 30 mars 1991 portant création d’un Ordre des Pharmaciens en République du Zaïre.(19)
4) Huissier de Justice. Loi n°16/011 du 15 juillet 2016 portant création et organisation de la profession d’Huissier de Justice.(20)
5) Notaire : Loi n° 16/012 de 15 juillet 2016 portant création, organisation et fonctionnement de la profession de Notaire (21)
6) Ordre National des chirurgiens-dentistes. Loi n°16/014 du 15 juillet 2016 portant création, organisation et fonctionnement de l’Ordre National des chirurgiens-dentiste s en RDC (22)
7) Ordre des Infirmiers. Loi n°16/015 du 15 juillet 2016 portant création, organisation et fonctionnement de l’ordre des Infirmiers en République Démocratique du Congo (23)
8) Ordre des Experts-comptables. Loi n° 15/002 du 12 février 2015 modifiée pour la loi n° 18/017 du 09 juillet 2018 portant création et organisation de l’ordre national des Experts comptables (24)
9) Ordre des Médecins vétérinaires. Loi n° 18/029 du 13 décembre 2018 portant création et fonctionnement de l’Ordre National des médecins vétérinaires (25)
10) Ordre des Architectes. Loi n°18/034 du 13 décembre 2018 portant création et fonctionnement de l’Ordre National des Architectes (26)
11) Ordre des Ingénieurs civils. Loi n°18/033 du 13 décembre 2018 portant création, organisation et fonctionnement de l’Ordre National des Ingénieurs civils (27)
Comme on peut s’en rendre compte, alors que le syndicat est créé par des individus qui se mettent ensemble pour la défense de leurs intérêts et à ce titre, le recours en annulation de tout acte accompli par ses organes qui serait contraire à ses statuts, à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs doit être adressé au Tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel se trouve son siège (28), les recours en annulation contre les actes, règlements et décisions des organes des ordres professionnels sont de la compétence des juridictions administratives (29).
II. Confusion entre les prérogatives du PG près le Conseil d’Etat et celles du PG près la Cour de cassation.
Près chaque juridiction formée après l’éclatement de la Cour Suprême de Justice en Cour de cassation, Cour constitutionnelle et Conseil d’Etat, il a été institué un Procureur ayant chacun ses attributions.
Nous avons déjà rencontré les attributions du PG près le Conseil d’Etat (30). Le PG près le Conseil d’Etat n’instruit pas des dossiers. Il donne des avis. Il peut introduire une action en cas de renvoi pour cause de sûreté publique, de révision et de pourvoi dans l’intérêt de la loi. (Article 33).
L’instruction des dossiers se fait, en matière répressive, et c’est le rôle du Ministre public près les juridictions de l’ordre judiciaire, c’est-à-dire, le Procureur Général près la Cour de cassation, le Procureur Général près la Cour d’appel, le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance et le Chef de Parquet près de Tribunal de paix. C’est à ce Ministère public que revient les attributions prévues aux articles 66 et à 69 de la loi organique n°13/11-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire (31) . Il s’agit, notamment, rappelons-le, en matière répressive, de rechercher les infractions aux actes législatifs et réglementaires qui sont commises sur le territoire de la République, de recevoir les plaintes et les dénonciations et d’accomplir tous les actes d’instruction et de saisir les cours et tribunaux (32).
Mais le Conseil d’Etat a, par Décision n°20/001/B/CE/2020 du 10 mars 2020 (33) relative à l’exécution des décisions des tribunaux de l’ordre administratif, estimé, en son article 4 dernier alinéa que le Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif «constate des infractions… » (34)
C’est là, la confusion.
Le Conseil d’Etat a confondu les attributions du Ministère public près les juridictions de l’ordre administratif avec celles du Ministère public près les juridictions de l’ordre judiciaire. Et c’est ici que se trouve la réponse à l’interrogation de Monsieur KANDOLO M. : « Le Conseil d’Etat peut-il statuer sur les ASBL ? » (35).
En effet, rappelons que les ordres professionnels sont créés par le législateur alors que le syndicat est l’œuvre des particuliers. Rappelons aussi que les recours contre des actes et décisions des organes des ordres professionnels sont de la compétence des juridictions de l’ordre administratif et que la requête en annulation de tout acte accompli en violation des statuts d’une structure comme le syndicat est la compétence du Tribunal de Grande Instance; juridiction de l’ordre judiciaire.
En conséquence, le Conseil d’Etat — juridiction de l’ordre administratif— n’est pas compétent de connaitre d’une requête dirigée contre une décision d’une structure privée en l’occurrence, la FEC (36) qui est un syndicat des employeurs; le recours contre pareille décision étant de la compétence du Tribunal de Grande Instance – juridiction de l’ordre judiciaire.
Le PG près le Conseil d’Etat a rajouté à cette confusion.
Se fondant sur la Décision n°20/001/B/CE/2020 du 10 mars 2020, il est intervenu dans l’exécution d’une ordonnance du Conseil d’Etat accueillant une requête en référé-liberté en requérant la Force publique pour prêter main-forte à l’exécution de ladite ordonnance en empêchant la tenue de la séance plénière de l’Assemblée nationale pour l’élection du nouveau Premier Vice-Président (de l’Assemblé nationale). (37) Il (le PG près le Conseil d’Etat) a ainsi confondu ses prorogatives avec celles du PG près la Cour de cassation.
En effet, article 14 du Code de procédure pénale réserve aux seuls officiers du ministère près les juridictions de l’ordre judiciaire le droit de requérir l’assistance de la «Force publique» pour vaincre les résistances faites à l’exercice de leurs fonctions prévues (voir ci-dessus), notamment aux articles 67 de la loi organique n°13/001-B du 11 avril 2013 et 109 du Code de procédure pénale. (38)
En procédure civile, le ministère public près les juridictions de l’ordre judiciaire intervient par réquisition de la force publique pour prêter main-forte à l’huissier qui, au cours de l’exécution forcée, est l’objet des violences ou des actes de résistance ou si les portes lui sont fermées. (39)
CONCLUSION
Eu égard à l’exposé qui précède, nous espérons qu’il n’y aura plus confusion entre «syndicat» et «ordre professionnel». Le critère de distinction, avons-nous vu, est l’organe de création. En effet, alors que l’ordre professionnel est créé par le législateur (il, est créé…), le syndicat est l’œuvre des particuliers (personnes physiques ou morales).
De même, le PG près le Conseil d’Etat remarquera qu’il devrait s’obliger de se distancer de la Décision n°20/001/B/CE/2020 du 10 mars 2020 et se rendre compte que son intervention pour l’exécution d’une décision d’une juridiction de l’ordre administratif ne repose sur aucune base légale. Joseph MUSHAGALUSA PG près le Conseil d’Etat Emérite