* La spectaculaire montée en puissance de la Turquie en Afrique, fruit d’un subtil mélange entre le soft power et le hard power, est devenue un sujet d’intérêt pour la presse francophone.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan effectue du 17 au 21 octobre une nouvelle visite sur le continent africain afin de visiter trois pays : l’Angola, le Nigeria et le Togo. Depuis 2002 (et à la fin de sa nouvelle tournée africaine), Erdogan aura visité au total 30 pays africains tout d’abord en tant que Premier ministre et ensuite en tant que président de la République turque. Pour le Togo et l’Angola, c’est sa première visite officielle.
Ses déplacements fréquents sur le continent sont une preuve de l’importance accordée à l’Afrique dans la politique étrangère turque. De 2002 à 2021 le nombre d’ambassades turques est passée de 12 à 43. Quant au volume commercial de la Turquie avec l’Afrique, il est passé de 5,4 milliards de dollars en 2003 à 25,3 milliards de dollars en 2020. L’objectif du président turc est d’atteindre le double de ce chiffre.
Le succès turc en Afrique trouve plusieurs explications d’ordre historique, culturel, religieux, économique mais aussi militaire. Mais avant toute chose, cela s’explique par le traitement « humain » de la Turquie envers les pays et peuples africains. Au-delà de l’aide humanitaire apportée par la Turquie aux pays africains à travers la TIKA (Agence turque de coopération et de coordination), le Croissant-Rouge turc (Kizilay) ou encore l’AFAD (l’Agence turque de Gestion des catastrophes et des situations d’urgences), c’est le président turc lui-même qui représente tout un symbole d’espoir et d’émancipation pour les peuples africains. Dans son nouveau livre intitulé « Un monde plus juste est possible« , il dénonce le manque de représentativité des pays africains au sein du système onusien qui exclut la grande majorité du monde avec un Conseil de sécurité composé de cinq membres permanents (Chine, États-Unis, Russie, France et Royaume-Uni).
Lors de sa visite en Angola, le président turc a de nouveau dénoncé le fonctionnement actuel des organisations internationales: « Ignorer les appels au changement est une injustice pour l’Afrique« , a déclaré le président turc, tout en soulignant que la Turquie ne portait « aucune tache » d’impérialisme ou de colonialisme.
Le succès turc en Afrique, vu par la presse francophone
L’influence et la présence turques en Afrique sont devenues un objet d’études et d’analyse de première importance pour la presse étrangère dont notamment la presse française puisque l’Afrique est aussi un continent qui intéresse plus particulièrement la France.
La nouvelle tournée africaine du président turc a trouvé un grand écho dans la presse francophone avec un grand nombre d’articles analysant le comment et le pourquoi de la montée en puissance de la Turquie en Afrique.
Pour en donner quelques exemples, on peut citer : Erdogan cherche à étendre son influence en Afrique (Le Monde), Renaud Girard : « Erdogan renforce son implantation africaine » (Le Figaro), Turquie-Afrique : Recep Tayyip Erdogan avance en conquérant (Le Point), La Turquie en Afrique : une présence tous azimuts (TV5Monde), Turquie : quel est le bilan de l’offensive diplomatique d’Erdogan en Afrique ? (France 24), Turquie : Erdogan en Afrique, opération séduction (France 24), Erdogan en Afrique : l’affirmation de l’influence turque dans des domaines stratégiques (France 24), Les ventes de drones militaires, un vecteur de l’influence turque en Afrique (Courrier International), Turquie, Erdogan à l’assaut de l’Afrique (Afrik), Angola : Erdogan promet un partenariat « gagnant-gagnant » aux Africains (La Libre Afrique).
Dans ces articles, des chercheurs et spécialistes de la Turquie et des relations internationales essaient de comprendre comment l’Afrique est devenue une priorité dans la stratégie d’influence turque dans le monde. Selon Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes, en tant que puissance régionale, la Turquie essaie d’avoir un rayonnement qui aille au-delà même de son environnement proche, c’est à dire de l’Europe et du Moyen-Orient. Pour lui, « l’Afrique est le premier d’entre eux mais on a vu la Turquie également très présente en Amérique latine, ou dans des pays d’Asie comme la Malaisie, l’Inde, l’Indonésie ou le Pakistan. La Turquie est un pays qui essaye de mondialiser sa politique étrangère« .
Tous s’accordent sur le fait que l’économie est l’une des facettes principales de la coopération stratégique entre la Turquie et l’Afrique. Basées sur un partenariat « gagnant-gagnant« , les relations économiques turco-africaines ne font que se renforcer de jour en jour. Le fait que la compagnie aérienne turque Turkish Airlines assure la liaison entre Istanbul, la capitale économique, avec quasiment toutes les grandes villes africaines, facilite les échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique.
Une autre facette qui est en train de se développer est sans aucun doute le volet sécuritaire et militaire. Pour l’illustrer, un récent article du journal Le Monde s’intéresse plus particulièrement au cas de l’Ethiopie où les exportations turques dans les domaines de la défense et de l’armement ont explosé cette année et sont passées de 203 000 dollars à 51 millions de dollars. Les drones turcs suscitent un grand intérêt dans les pays africains. Après avoir vendu des drones armés au Maroc, la Turquie vient de conclure un contrat similaire avec l’Éthiopie. Selon plusieurs sources, le Nigeria aussi souhaiterait s’équiper des drones turcs afin de lutter contre l’organisation terroriste Boko Haram. Il convient aussi de rappeler que la Somalie accueille la plus grande base militaire de la Turquie hors de son territoire.
Pour Marcou, la stratégie d’influence turque en Afrique se résume comme telle : « C’est une stratégie globale qui vise à apparaître comme un pays émergent, moins menaçant que la Chine, mais qui en même temps se démarque des anciennes puissances coloniales avec un discours néo tiers-mondiste assez populaire en Afrique« . Dorothée Schmid, la responsable du programme Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI), explique, pour sa part, le succès turc en Afrique par « une vraie politique de puissance complète où le soft power installé par le commerce, la culture islamique et les ONG est couplé au hard power avec la vente d’armements« .
En conclusion, il est indéniable que la Turquie joue aujourd’hui un rôle de première importance en Afrique et développe chaque jour un peu plus ses relations avec les pays africains. La montée en puissance de la Turquie en Afrique suscite à la fois admiration et crainte dans les pays qui ont aussi des intérêts stratégiques dans la région. « Sans surestimer ce que peut faire Ankara, les pays très investis en Afrique, comme la France, gardent un œil sur la Turquie« , analyse Jean Marcou. Il est clair que la compétition en Afrique ne fera que s’accentuer puisque selon l’enquête Africaleads 2021, l’image de la France se dégrade alors que celle de la Turquie, du Qatar et des Émirats s’améliore sur le continent africain. Espérons que la Turquie y trouve une formule équitable qui serait profitable pour toutes les parties. Par Öznur Küçüker Sirene