* Sur le dossier CENI, l’Archevêque de la capitale regrette que le chef de l’Etat n’ait pas entendu la CENCO et l’ECC
Dans une interview à Jeune Afrique, l’archevêque de Kinshasa se dit très déçu par la confirmation de Denis Kadima à la tête de la CENI et dénonce les insultes, menaces et intimidations dont se sont rendus coupables des membres de l’UDPS.
Après l’investiture de nouveaux animateurs de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), le vendredi 22 octobre par le Président Félix Tshisekedi, un vent de révolte soulève sur une bonne frange de l’opinion publique en RD Congo. Des réactions en signe de protestation proviennent sans cesse, aussi bien des états-majors des plateformes de l’Opposition que des mouvements et associations de la Société civile, non acquis à la cause de la nouvelle majorité parlementaire, labellisée Union sacrée de la nation, créée en décembre 2020, à l’initiative de Félix Tshisekedi.
Dans cette avalanche de réactions, la dernière en date est celle du cardinal Fridolin Ambongo. L’actuel locataire du Centre Lindonge, comme ses trois prédécesseurs, est connu pour son franc-parler, chaque fois que certains actes des décideurs congolais mettent à mal la cohésion nationale et la paix intérieure.
Dans sa réaction à l’approbation de la nomination de Denis Kadima à la tête de la Centrale électorale, l’archevêque de Kinshasa ne cache plus sa déception Il se dit très déçu. D’abord, par l’Assemblée nationale qui a entériné le nouveau bureau de la Ceni. Ensuite, par le président Félix Tshisekedi qui a investi les membres dudit bureau, désignés en l’absence du consensus au sein de la plateforme Confessions religieuses.
Dans une interview accordée hier mercredi 27 octobre au magazine panafricain Jeune Afrique, le 4ème cardinal congolais accuse l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), principal parti au pouvoir au sommet de l’Etat en RD Congo, de faire une « fixation » contre l’Eglise et d’avoir tourné le dos aux valeurs qu’il défendait lorsqu’il était dans l’opposition.
Par ailleurs, le numéro 1 de l’Eglise catholique romaine de Kinshasa, « dénonce les menaces, les insultes, les intimidations » dont se sont rendus coupables des sociétaires du parti présidentiel. Toujours au cours de son entretien avec notre confrère Stany Bujakera de Jeune Afrique, le cardinal Fridolin Ambongo regrette que le Président Félix Tshisekedi n’ait « pas entendu » les inquiétudes exprimées par la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) et par l’ECC (Eglise du Christ au Congo), avant d’affirmer qu’il « ne se sent plus en sécurité à Kinshasa ».
« Si aujourd’hui, le peuple se retrouve dans la même situation qu’autrefois, nous reprendrions le combat », renchérit le successeur de feu le cardinal Laurent Monsengwo Passinya. Forum des As publie ci-dessous, de larges extraits de cette interview dont l’intégralité a été réservée aux abonnés de Jeune Afrique. La titraille est de la rédaction du quotidien trentenaire.
Grevisse KABREL
Jeune Afrique : Comment réagissez-vous à la confirmation de la composition de la nouvelle commission électorale par le président Tshisekedi et à la nomination à sa tête de Denis Kadima ?
Fridolin Ambongo : Cela a été pour moi un moment de grande tristesse et je suis inquiet pour l’avenir de la démocratie dans notre pays. Si, dès le départ, il n’y a pas un minimum de consensus, je me demande à quoi ressemblera la suite du processus électoral.
NOUS AVIONS ATTIRÉ L’ATTENTION DU PRÉSIDENT SUR LE RISQUE QUE L’ON FAISAIT COURIR À LA RÉPUBLIQUE
Qu’attendiez-vous du chef de l’État ?
Il connaît très bien notre position. Nous avions attiré son attention sur le risque que l’on faisait courir à la République en entérinant une solution non consensuelle, mais nous n’avons pas été entendus.
Mais il y a quelques années, l’Eglise s’st vraiment mobilisée contre le pouvoir de Joseph Kabila …
Je ne regrette rien. Nous avons agi comme pasteurs, pour l’intérêt de notre peuple. J’ajoute que nous n’avons pas mobilisé la rue pour les beaux yeux d’un parti : nous l’avons fait pour le bien de notre peuple, qui avait exprimé son ras-le-bol. Et si, aujourd’hui, le peuple se retrouve dans la même situation qu’autrefois, nous reprendrons le combat.
Est-il encore possible d’éviter une crise politique ?
Oui, à condition de respecter les textes légaux et la liberté des personnes et des institutions qui ont un rôle à jouer dans le processus électoral. A condition aussi de mettre fin à » la culture de la corruption » dans les choix des membres de la CENI.
Denis Kadima et son équipe ayant été confirmés dans leurs fonctions, pourriez-vous appeler à manifester, comme en 2017 ?
L’Eglise, ce n’est pas uniquement moi, le cardinal. Notre action dans le domaine socio-politique est toujours la résultante de concertations entre tous les évêques du Congo.
Nombre de ces attaques viennent de l’UDPS … Cela vous surprend-il ?
Oui, je ne m’attendais pas à cela de la part d’un parti qui a lutté pendant des décennies pour la démocratie, la dignité, la justice et la paix. Nous connaissions tous le long combat d’Etienne Tshisekedi, qui a donné sa vie pour que ce pays ait un meilleur avenir.
Depuis que l’UDPS est au pouvoir, nous assistons à une inversion des rôles. L’Eglise catholique, qui a toujours été soutenue et même applaudie par ce parti, fait aujourd’hui figure d’épouvantail. Elle est devenue l’ennemi à abattre. Vous avez été témoin des attaques qui se sont passées ici à mon bureau et à ma résidence en plein jour. Nous savons ce qui s’est passé, d’où ils sont partis et qui les a chauffés à blanc. Aujourd’hui, je ne me sens plus en sécurité dans la ville de Kinshasa.
N’est-ce pas exagéré ?
Non. Je ne peux pas savoir de quel côté viendront les attaques de demain. Nous savons qui tire les ficelles, mais ceux qui sont manipulés, nous ne les connaissons pas. Ça peut-être un conducteur de moto, un automobiliste ou un piéton. Donc non, le cardinal que je suis n’est plus en sécurité.