* Sans remonter au déluge.
La leçon d’histoire n’est pas encore apprise ni assimilée dans ce pays, faute d’enseignants et d’apprenants aussi. A chaque échéance, à chaque étape, on marque le pas. Non ! On fait marche en arrière au lieu d’avancer vers le progrès.
A Sun City au 45ème jour de négociations, on avait perdu un soir et une nuit sans sommeil pour discutailler sur un faux accord signé entre la Composante Gouvernement (de Kabila Kabange au pouvoir à Kinshasa) et le Mouvement rebelle MLC de Jean-Pierre Bemba établi à Gbadolite. Ces deux composantes avaient négocié, en cachette, un accord au luxueux Hôtel des Cascades où ils se réunissaient eux deux en secret. Leur accord partageait le pouvoir entre : Joseph Kabila restait Président de la République et Jean Pierre Bemba occuperait le poste de Premier Ministre.
Cette nuit-là, ils tinrent invariablement un même discours agaçant pour dire à la ville et au monde qu’ils avaient signé un bon accord. Ils invitaient les autres à se joindre à eux. Qu’elle était la motivation de cette escapade? Une réponse aussi simple que ridicule, alors que la motivation profonde et irréalisable était ailleurs, et on le savait : « le temps imparti (45 jours) au dialogue étant échu, nous devons rentrer au pays. La guerre est terminée. Ceux qui aiment la paix sont invités à adhérer à leur accord » …
Où sont les résolutions ? Où est la constitution et l’articulation du Gouvernement ainsi que les autres institutions de la transition à se répartir entre composantes ? Une commission se rendra à Matadi pour rédiger la Constitution de la transition, répondirent-ils. Inlassablement !
Le facilitateur, le Botswanais Kétumilé Masiré, ancien président de la République et son équipe d’experts sénégalais s’évertuèrent à les convaincre du bien-fondé de conclure un accord entre toutes les parties, mais en vain. On les supplia encore toute la nuit pour les ramener au bon sens. Sans résultat. « Il y a un bon accord sur la table, veuillez signer, s’il vous plait« , disaient-ils aux autres tout étonnés. Le Président sud-africain, Thabo Mbeki était venu aussi pour donner des conseils et encourager les délégués à poursuivre les travaux. Dialogue de sourds.
Le tandem de l’Accord des Cascades réussit à leurrer une dizaine de petits partis politiques et la quasi-totalité des organisations de la Société civile, toujours et encore elle, qui se mirent en rang pour apposer leurs signatures.
Seuls le Palu d’Antoine Gizenga, l’Udps d’Etienne Tshisekedi, le G-14 avec le Dr Kabamba et le Mouvement rebelle RCD/Goma dénoncèrent le fameux accord et s’abstinrent de cautionner la forfaiture. De guerre lasse les délégués quittèrent précipitamment les lieux et aux petites heures sans accord signé par tous les participants.
Il n’en fallut pas longtemps pour que la vérité éclate. La rencontre promise de Matadi n’eut jamais lieu, le MLC s’étant rebiffé. Un temps fou était perdu. Pas une nuit, pas un jour. Mais une année entière qui était perdue. On reviendra à Sun City pour conclure un Accord dit « Global et Inclusif« , un vrai et authentique après un océan de sang.
Les négociations du Centre Interdiocésain sous les bons offices des Evêques catholiques du Congo (Cenco) après le fiasco des concertations de la Cité de l’UA avec comme médiateur, le Togolais Edem Kodjo (traité de Kabiliste par Etienne Tshisekedi) avaient pour but d’apaiser la tension politique née du retard dans l’organisation des élections dans les délais et de négocier une sorte de transition – le glissement- dans un cadre consensuel, après tant de morts, échouèrent au port. La cause : la nomination le 31 décembre 2016 de Bruno Tshibala comme Premier Ministre issue de ces négociations fut qualifiée par la Cenco « d’entorse » audit accord.
Le chapeau qui introduisait le texte des Evêques publié par les journaux kinois se fondait sur les instructions dogmatiques de l’apôtre Paul adressées à son disciple Timothée à l’intention de sa communauté d’Ephèse : « prêche la parole, insiste en toute occasion, favorable ou non, reprends, censure, exhorte » …
A la profession de foi des Evêques était venue s’affronter la contre déclaration de la Majorité Présidentielle (MP) de Kabila, à laquelle appartenaient Mboso N’kodia Pwanga et Bahati Lukwebo, contredisant les Evêques et les invitait à « l’obligation de réserve » et à se tenir « au milieu du village« .
Kabila fit sourde oreille et ignora la contestation des prélats catholiques et de la classe politique majoritairement à l’opposition dont l’Udps d’Etienne Tshisekedi.
C’est dans cette confusion aux biceps que s’organiseront les élections de 2018 dont on connait les résultats proclamés par une Ceni foulant au pied son propre mode de fonctionnement et les contestations nombreuses non réglées qui s’en suivirent, digne d’un film Western sous les yeux médusés des électeurs. Une majorité avait été solennellement proclamée, puis changée à la cavalière et attribuée à un autre groupe politique né après ces mêmes élections, deux ans après.
La société civile en question
Les délégués au Dialogue Intercongolais à Sun City parmi lesquels on comptait un cardinal, archevêque de Kinshasa, avaient foi en la Société civile à laquelle appartenaient l’Eglise catholique et l’Eglise du Christ au Congo pour présider la plus importante institution d’appui à la démocratie : la Commission Electorale Indépendante, Cei devenue Ceni aujourd’hui.
Pour la direction de cette institution et pour rassurer toutes les composantes on avait à l’esprit des hommes comme le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya et Monseigneur Pierre Marini Bodho pour leur intégrité morale et leur probité intellectuelle en plus d’appartenir à de grandes églises. Jamais personne n’avait pensé à une foule de pasteurs et autres imams de « confessions religieuses » sans nom et sans identité pour organiser les élections véritablement crédibles et transparentes. Pour assurer cette même transparence il était admis que les politiques soient représentés au bureau et à l’assemblée de la centrale électorale. Tout le monde surveillant tout le monde. Du regard sur les trois cycles électoraux passés, ici on s’était leurré.
CENCO et ECC : le piège
Au fil du temps sinon dès le départ la Composante Gouvernement qui détenait les cordes de la bourse et les moyens étatiques avait infiltré et corrompu le système.
La Composante Société Civile-Confessions religieuses actuelle désignée pour choisir le Président de la Ceni est dès le départ une construction maligne des hommes politiques au pouvoir qui ont réussi à dévoyer l’esprit de Sun City d’une Ceni véritablement indépendante et qui ont enfermé la CENCO et l’ECC dans un carcan infernal.
Comment a-t-on pu imaginer qu’on pouvait réunir toutes les confessions religieuses (même limitées à huit), et espérer obtenir d’elles un consensus, un accord, elles qui n’ont rien en commun sauf « chacun pour sa chapelle » au sens propre.
La Tour de Babel !
L’histoire nous renseigne que, par nature, les religions n’ont jamais été un facteur d’union ou de paix quand elles sont deux ou plus à cause de leur sectarisme et de leur dogmatisme. Rarement elles se rencontrent pour échanger sur leurs professions de foi. On aurait pensé que les églises du christianisme feraient unanimisme. Mais que non ! Un verset biblique, trois, quatre interprétations autant d’églises. Leurs querelles ont souvent pollué la paix sociale. C’est pourquoi les rois et autres empereurs de l’Antiquité et des temps modernes exigeaient pour leurs royaumes « une nation, une religion » ou alors c’est la religion du prince qui était imposée. Puis étaient venues les sociétés de droit de l’homme et de liberté de culte: la laïcité.
Celle-ci veut dire simplement que l’Etat n’intervient pas dans les activités des églises et inversement. Celles-ci ne s’immiscent pas dans la vie de l’Etat en particulier dans le fonctionnement des institutions politiques. Il n’y a pas de religion d’Etat qui soustrairait le clergé des affaires publiques et pris en charge par l’Etat.
Cependant des politiques au pouvoir abusent des moyens de la puissance étatique pour intimider les prélats et autres pasteurs pour leur légitime activisme politique. Ils sont religieux (statut privé) et citoyens congolais de droit. Au nom de quoi leur exigerait-on une attitude de neutralité sur la marche du pays et devant ce qu’ils considéreraient comme une « entorse » à la vérité et à la justice.
Aujourd’hui une procédure de désignation de celui qui doit présider la Ceni est dans l’impasse. Ce blocage témoigne la volonté manifeste des hommes au pouvoir de maintenir le statu quo pour se donner les moyens de perpétuer les pratiques frauduleuses qui avaient présidé aux choix de l’Abbé Malumalu, du pasteur Ngoy Mulunda et de Monsieur Corneille Naanga.
La Cenco et l’Ecc crient dans toutes les langues, pour reprendre cette expression de J. Nawej, à la fraude et dénoncent à haute voix la rédaction du P.V. déposé à l’Assemblé nationale par les 6 du groupe. Il n’y a personne pour les entendre. Pas un magistrat dans le coin pour verbaliser sur le faux. On leur dit « vous avez 48 heures, puis 72 heures, encore 48 heures et ainsi de suite…
Cette situation est la preuve qu’on n’a pas appris des leçons de Sun City (Sir Masiré), des concertations de l’Union africaine (Edem Kodjo) et du Centre Interdiocésain (Cenco).
On fait du surplace, puis trois marches en arrière
Le nœud cornélien
Comment la Cenco et l’Ecc devraient-elles se libérer de ce carcan de la plateforme Confessions religieuses et ne pas abandonner ? Paradoxe. C’est la question angoissante: to be or not to be, se demandait Hamlet de Shakespeare, épée à la main. Que faire ? Ayant accepté de présider la Commission nationale indépendante dans le cadre de la société civile, l’Eglise, la Cenco, c’est bien d’elle qu’il s’agit, se trouve devant un choix. Cette fois ou jamais, leo ndjo leo, disent les swahili.
Il faut rechercher les valeurs du pacte républicain né en 2003 à Sun City et exprimé dans le Préambule de la Constitution. Les Evêques ont des ressources pour résister à toute forme de pression ou d’immixtion des politiques dans le processus de désignation du Président de la Ceni, sous aucun prétexte.
Maintenant que les masques sont tombés, ces mêmes hommes politiques, habiles à la manipulation rient des Evêques sous cape et les exposent à l’opinion : « Vous voyez ces hommes de Dieu, donneurs de leçon, ils sont incapables de s’entendre. Ils ne sont pas meilleurs« . Aux Evêques on peut dire : Détruisez la Tour de Babel. Ne faites pas semblant ni l’hypocrisie. Vous n’êtes pas de nature à vous entendre. Vous n’êtes pas un.
Dans une analyse tout à fait pertinente parue dans Forum des As du 31 Août dernier, José Nawej pose le postulat du crépuscule de la plateforme Confessions religieuses. Et d’ajouter « la chronique de la mort attendue de cette plateforme » n’augure rien de bon « .
Si la mort naturelle de cette plateforme n’arrive pas il faut l’anticiper afin que naisse une nouvelle société civile épurée. Le crépuscule de cette composante avait commencé dès Sun City alors que ses animateurs l’avaient désertée au profit des institutions politiques, laissant le Dr Mukwege seul sur le terrain.
Une question aussi languissante reste posée : « qui sera le liquidateur« , en effet. Les parrains sont introuvables. J. FUMUNZANZA MUKETA