Arthur Yenga : « Dès la prochaine rentrée académique, le système LMD sera généralisé dans tous les établissements de l’ESU »

Enseignant à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC), le Professeur Arthur Yenga Maombe Neko vient de participer activement aux états-généraux de l’Enseignement Supérieur et universitaire (EGESU), qui se sont tenus à Lubumbashi, capitale du Haut Katanga. A travers cette interview en ligne accordée en exclusivité à  »Forum des As », ce responsable du desk Communication de la Coordination des EGESU éclaire la lanterne des lecteurs sur les enjeux de ce grand forum scientifique.

Quelles sont les grandes lignes des états-généraux de l’Enseignement Supérieur et universitaire qui viennent de se tenir à Lubumbashi ?

En filigrane, un fil conducteur a traversé l’ensemble des discussions au sein des états généraux de l’enseignement supérieur et universitaire, à savoir : instaurer le système LMD (Licence – Master – Doctorat), afin d’harmoniser le cursus de l’ESU et de favoriser la mobilité du personnel enseignant et des étudiants à l’échelle mondiale. De sorte que si l’on considère que la première réforme de l’enseignement universitaire réalisée en 1971, par la création de l’UNAZA, étant une première rupture avec l’enseignement colonial, on pourrait dire que cette première étape a constitué une révolution galiléenne.

Cinquante ans après, les assises de Lubumbashi introduisent, d’une part une révolution copernicienne et, d’autre part, font basculer, de manière irréversible notre système d’enseignement dans l’ère de la révolution informatique. L’opinion nationale retiendra à cet effet que les travaux de Lubumbashi ont permis de mettre en œuvre un point important de la loi cadre de 2014, en généralisant le système LMD dans le secteur de l’Enseignement supérieur et universitaire en RDC, dès la prochaine rentrée académique 2021 – 2022.

Toutefois, il importe de préciser que cette mise en œuvre du LMD dans toutes les institutions et dans toutes les filières procèdera selon la feuille de route élaborée comme suit : « Mettre en place immédiatement le Conseil Académique Supérieur ; légiférer sur le cadre normatif ; restructurer la Commission Permanente des Etudes (CPE) pour la charger d’assumer les attributions confiées à la Commission technique nationale BMD telles que définies dans le cadre normatif ; définir la feuille de route de généralisation ; généraliser la réforme dans le secteur. Cette généralisation du système LMD sera engagée dès la rentrée 2021 – 2022 sous l’appellation LMD tout en remplaçant l’appellation LMD (Licence – Master – Doctorat) par BMD (Bachelor – Master – Doctorat) au niveau de la certification ou diplomation ».

Concrètement, que peut-on retenir des assises de Lubumbashi ?

De manière concrète, il est recommandé d’organiser la durée indicative des cycles de la manière suivante. Au niveau de la phase de préparation (octobre 2021 – janvier 2022), il faudra adapter le calendrier académique au chronogramme de la réforme ; vulgariser le cadre normatif, les textes légaux et réglementaires sur le LMD ;  mettre en place des structures d’accompagnement aux niveaux ministériel et institutionnel ; élaborer de nouveaux programmes non existants ; élaborer différents guides ; renforcer les capacités des acteurs ; acquérir progressivement les équipements des laboratoires et des ateliers, et autres matériels didactiques…   

Pour la phase de démarrage (février 2022 – décembre 2022), l’on préconise de démarrer officiellement la réforme LMD dans tous les établissements et toutes les filières ; d’élaborer et de vulgariser les offres de Master et de doctorat ; de poursuivre le renforcement des capacités des acteurs ; de moderniser progressivement les infrastructures ; d’admettre les étudiants en L1 et/ou M1 ; d’   arrêter progressivement l’ancien système ; d’appliquer les nouvelles maquettes ; de préparer divers guides d’orientation à l’intention des étudiants et des enseignants… 

La phase de consolidation (2022-2023, 2023-2024), quant à elle, impliquera de poursuivre le renforcement des capacités des acteurs et la modernisation des infrastructures ;  d’instaurer un nouveau mode de gouvernance institutionnelle au niveau de la direction et aux niveaux de base (département, faculté et section) ; de renforcer les capacités des enseignants aux approches pédagogiques innovantes ; de renforcer les capacités des dirigeants (des institutions, des facultés, des départements, des centres de recherches, etc.) aux approches innovantes de gouvernance ; d’instaurer un mécanisme de suivi et évaluation de la mise en œuvre ; de recruter les enseignants (professeurs et auxiliaires) en fonction des besoins réels de l’Etablissement et sur la base d’un contrat explicite applicable à tous (anciens et nouveaux); de revoir la hauteur des frais de scolarité et les mécanismes de sa gestion ; d’institutionnaliser une école doctorale pour les filières culturelles et artistiques en vue de la formation des professeurs du domaine ; de renforcer les critères de recrutement du Professeur associé au-delà de la simple détention du diplôme de doctorat… 

Qu’en est-il de l’amélioration des conditions du personnel de l’ESU ?

Parmi les 329 résolutions formulées lors des EGESU en effet, au-delà de la généralisation du système LMD, une deuxième recommandation importante porte sur l’amélioration des conditions du personnel de l’ESU, notamment en fixant une rémunération équivalente à celle du ministre pour le Professeur Ordinaire et en répercutant la tension salariale logique pour toutes les autres catégories du personnel de l’ESU (barème salarial). Ainsi, il est question de remonter le budget de l’éducation à hauteur de 20 à 25 % du budget national, dans lequel au moins 10 à 12 % sont alloués au ministère de l’ESU, compte tenu de la valeur de la recherche et de l’enseignement pour un pays qui se veut émergent.

Dans la même lancée, d’autres résolutions pertinentes suggèrent de prendre les mesures salutaires ci-après : appliquer effectivement les dispositions de la Loi n° 18/0138 du 29 décembre 2018 portant statut du personnel de l’ESU et de la Recherche scientifique ; rendre effectif le principe « pas de travail sans salaire » pour les nouvelles unités et les promus en grade ; appuyer les mutuelles de santé en faveur de la communauté de l’ESU afin d’améliorer la prise en charge sanitaire ; octroyer des bourses de recherche au personnel académique et scientifique ; améliorer les conditions étudiantes : bourses d’études, restauration, moyen de transport, logement, infrastructures (bibliothèques, laboratoires) ; créer et disposer d’un fonds national pour le financement des projets de recherche ; dépolitiser les établissements de l’ESU notamment aux niveaux de l’élection des recteurs et directeurs généraux et la nomination des autres membres du comité de gestion, du recrutement du personnel de l’ESU, de la création des établissements de l’ESU, de la coordination des étudiants, etc.

Quid de recettes que peuvent générer les établissements de l’ESU ?

De mon point de vue, une troisième série de mesures importantes préconisées par les EGESU vise à encourager les Comités de Gestion des Etablissements (Ets) à s’investir dans la coopération universitaire pour nouer des partenariats nationaux et internationaux. Tant il est vrai que les grandes universités mondiales produisent elles-mêmes des recettes substantielles, sans compter uniquement sur les subsides du Gouvernement. Il a ainsi été recommandé aux établissements de l’enseignement supérieur et universitaire, notamment, de : signer des « partenariats public privé » entre les universités et l’extérieur (entreprises locales et internationales, ONG et autres) ; université et entreprises ; faire des Etablissements de l’ESU des PME en application de la Loi cadre 2014 Section 9, Articles 172 et 199.

A cet effet, promouvoir des unités de production et développer des activités génératrices de recettes ; faire de nos Institutions des Etablissements entrepreneuriaux tout en maintenant la culture administrative et la production du savoir Etat et Universités par rapport aux entreprises ; ouvrir les universités à des investisseurs nationaux et étrangers ; garantir la promotion et la protection des investissements privés en lien avec les Etablissements en créant dans les Etablissements une zone économique spéciale, (code des investissements), Institution et partenaires Etat ; promouvoir dans les universités la création des incubateurs d’où ressortent des start -up avec impact non négligeable sur le socio – économique ; créer une interface entre l’université et le monde  du travail. Ces interfaces doivent répertorier aussi bien les problèmes que les partenaires.

Enfin, the last but not the least, s’agissant de l’épineuse et honteuse problématique sur les antivaleurs (points sexuellement transmissibles, tribalisme..), un code d’éthique sera d’application dans le secteur de l’ESU et les agents coupables d’antivaleurs seront révoqués.

Comment pensez-vous guérir l’ESU sans le primaire et le secondaire ?

Les participants aux EGESU ont apprécié la présence active, tout au long des débats, de la Ministre déléguée aux personnes vivant avec handicap, tout en regrettant l’absence remarquée et remarquable du Ministre de la recherche scientifique. De ce qui précède, ils ont recommandé de placer la recherche scientifique sous la tutelle du ministère de l’ESU. Ils ont, dès lors, invité le ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique (EPST) à engager également des réformes approfondies à travers un forum, en collaboration avec les autres ministères en charge d’un volet du système éducatif. D’où, une conclusion logique s’impose. A savoir : créer un grand ministère de l’éducation nationale pour engager une réforme en profondeur de l’ensemble de notre système éducatif dans tous ses volets, en partant de la maternelle et en remontant à travers tous cycles du primaire, secondaire, jusqu’aux niveaux supérieur et universitaire.

Outre le discours de circonstance, quelle garantie avez-vous du ministre de tutelle qui vous pousse à espérer que les résolutions des EGESU seront appliquées ?

Au plan politique, le Ministre de tutelle, Muhindo Nzangi, a agi avec l’appui du Premier ministre et du Président de la république, chef du Gouvernement. Cette volonté politique, au plus haut niveau et au sommet de l’Etat, est indispensable pour passer à l’action et engager la réforme. Il y a plus encore. Depuis 2017 que les discussions et les ateliers préparatoires s’organisent sur les EGESU, on peut noter la détermination des concernés ou composantes de l’ESU à redresser le secteur et de trouver des solutions aux problèmes. Comme en 1971, lors de la réforme de l’UNAZA, ce sont des Congolais qui viennent de réfléchir pour relever, redresser, requalifier et innover le système éducatif universitaire et supérieur de  notre pays. C’est une question de fierté nationale et de motivation pour développer le Congo, en misant sur l’investissement dans les ressources du capital humain.

Que répondez-vous à ceux de vos collègues qui critiquent les résultats des assises et qui sont plus que sceptiques quant à l’après EGESU ?

En réalité, beaucoup parmi les critiques radicaux attendaient plutôt d’être invités pour prendre part aux EGESU. On peut donc comprendre leur colère ou frustration. D’aucuns ont même affirmé que les résultats attendus ne valeraient rien du fait de leur absence. A la décharge des organisateurs et de la Coordination, il était impossible, pour des raisons budgétaires et autres, d’inviter un nombre illimité de participants et de satisfaire tout le monde. La Coordination des états généraux assume donc le choix d’avoir exclu le critère de quotas pour sélectionner les experts qui ont pris part aux assises des EGESU.

Par-dessus tout, je sollicite personnellement la compréhension et la clémence des éminents collègues qui n’ont pas pu participer aux travaux. Je leur demande de s’engager dans la réforme de notre système éducatif. Tout changement suscite naturellement des résistances et des peurs. En tant qu’œuvre humaine, la réforme ne sera pas parfaite. Elle devra être rectifiée et améliorée, chemin faisant. C’est le sens même d’une autre recommandation majeure des EGESU exigeant de réviser les curricula tous les cinq ans. Cette même exigence souligne la nécessité, désormais, d’organiser les états généraux de l’enseignement tous les cinq ans. Propos rendus par José NAWEJ et Yves KALIKAT

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