A la faveur d’une tribune libre, André-Alain Atundu, ancien ambassadeur de la RD-Congo au Rwanda estime que pour réussir la mission consistant à mettre fin à l’insécurité dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, l’ANR (Agence nationale des renseignements), – bouclier de la Nation et fer de lance des ambitions de l’Etat- devrait intégrer les préoccupations de l’état d’urgence, «sur le plan financier et de disposer des agents dévoués et aguerris». Ces derniers, indique Atundu, «outre la recherche des éléments opérationnels, seront tenus de faire régulièrement une évaluation éthique de tous les acteurs impliqués.
De l’avis de l’Ambassadeur Atundu, «pour comprendre et contextualiser les enjeux multiples de la guerre au Nord-Kivu et en Ituri, l’Etat congolais ne doit pas lésiner sur les moyens d’investigation et de pénétration à mettre à la disposition du service de renseignement pour, dit-t-il, ne pas réduire nos forces armées en une force aveugle et inefficace».
Cet ancien crack des « Services » sous la IIème République persiste et signe, «l’ampleur et l’importance de la tâche exigent la mise à disposition des moyens conséquents car, les services constituent une armée de l’ombre, destinée à accompagner les FARDC grâce à des actions clandestines. »
En un mot comme en cent, «il est temps et il convient que la pierre rejetée devienne la pierre angulaire, car en temps de guerre le mépris peut s’avérer une méprise totale», conclut l’Ambassadeur André-Alain Atundu Liongo. Lire, ci-dessous, l’intégralité de son «Plaidoyer pour l’ANR». Didier KEBONGO
PLAIDOYER POUR L’ANR
Une perception aiguë de la guerre dans les contrées de l’Est du pays laisse un sentiment de malaise et donne l’impression d’une symphonie inachevée – l’ANR, pierre angulaire de la stratégie est laissée au bord du chemin comme un orphelin – Et pourtant ce service des renseignements est le bouclier de la nation et le fer de lance des ambitions de l’Etat pour garantir ia souveraineté de l’Etat à travers sa politique intérieure, sa politique étrangère, sa politique de la défense nationale à travers lesquelles il s’exprime.
Véritable Alpha et Oméga de la gouvernance, le service des renseignements doit servir de phare, c’est-à-dire à la fois d’instrument de veille globale et permanente des événements ainsi que de la riposte et de la direction de l’horizon, du cap.
Le service des renseignements comme l’ANR doit être à la fois craint, respecté et attirant comme un lion en cage. Il doit être craint à cause de ses longs et invisibles bras, il doit être respecté à cause de ses multiples capacités de nuisance et attirant par la posture légitimisante de sa démarche.
Bref, comme un lion en cage, dont devrait se méfier tout curieux à cause de sa force et de sa capacité destructrice mais qui exerce néanmoins une attraction fatale qui amène l’imprudent à sa portée,
C’est au service de renseignement qu’il revient de mettre à la disposition de l’Autorité nationale les éléments structurants de sa vision du monde, Un service respecté doit se tenir à égale distance des amis et des ennemis, ce qui revient à dire qu’il ne doit agir qu’en fonction de la conviction des intérêts du Pays. Grâce à sa capacité de quitter la peau du lion pour prendre celle du renard, selon l’expression suggestive de Napoléon,
A ce titre, l’ANR devrait participer à toutes les rencontres importantes entre services pour déterminer la marche du monde, la capacité de l’Etat à défendre sa souveraineté, soit par la force soit par la ruse bref, par l’intelligence des choses.
Il revient, en effet, au service des renseignements de déterminer les intérêts de chaque Etat tiers par rapport à son pays. Cela suppose qu’il a la capacité d’influencer, sinon d’atteindre les centres stratégiques des décisions.
Ainsi pour comprendre et contextualiser les enjeux multiples de la guerre au Nord Kivu et en Ituri, l’Etat congolais ne doit pas lésiner sur les moyens d’investigation et de pénétration à mettre à la disposition du service de renseignement, pour ne pas réduire nos forces armées en une force aveugle et inefficace.
Il est bien connu, qu’un seul agent bien introduit pourrait éviter à l’Etat une catastrophe autant qu’il peut provoquer la chute de l’ennemi. Tous les stratèges en conviennent et en sont convaincus. Grâce à sa capacité de récolte d’informations et à son imagination illimitée, il doit disposer d’une intelligence stratégique capable de détecter en son sein l’état de pénétration des services des Etats tiers pour établir leurs intérêts et comprendre le sens de leur comportement d’une part afin de déterminer leurs intérêts à satisfaire pour préserver les intérêts majeurs et essentiels de la République d’autre part.
Une approche phénoménologique et une lecture cursive des événements donnent l’impression que le service congolais est absent dans la sous-région, puisque personne n’en parle et ne le craint, sauf peut-être les opposants internes.
Les services congolais devraient inspirer la crainte et la peur dans la sous-région pour forcer le respect de grands services comme l’américain, le russe, le chinois, l’égyptien, le marocain, le français, le saoudien, l’israélien, l’iranien…
A cette fin, le service doit justifier son rôle de bouclier et de fer de lance. C’est pourquoi le service des renseignements procède, par une politique d’affût comme celle des speculatores romains, l’oreille collée à terre pour sentir à l’avance l’arrivée et la direction des chevauchées ennemies.
Le service doit déceler et écarter l’angélisme doctrinal de certains politiques pour n’avoir que son cœur dans la tête comme le recommande Napoléon.
Ainsi exit les peurs chimériques vis-à-vis de nos partenaires à cause de l’affaissement intellectuel et un manque de créativité positive.
Si la République Démocratique du Congo veut jouer un rôle politique dans la sous-région, elle doit s’occuper de la sécurité de la sous-région. C’est ainsi que le Président Idriss DEBY a réussi à placer le Tchad au cœur du dispositif du combat contre le terrorisme au Sahel ; le Président KAGAME ne poursuit pas un autre objectif en s’impliquant dans la lutte contre les djihadistes au Mozambique. Une telle ambition, pour être réaliste, doit s’appuyer sur l’efficacité du service.
Le véritable danger de la balkanisation n’est pas la convoitise légitime des voisins ou des partenaires, mais plutôt la nonchalance de nos services ou leur cécité.
Le jour où les ennemis de la république redouteront les services congolais comme par le passé, sera alors éloigné leur dessein de balkanisation et de cannibalisation de la République Démocratique du Congo par peur des représailles.
Pour réussir la mission de mettre fin à l’insécurité dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri, il importe d’intégrer les services de renseignement dans les préoccupations de l’état d’urgence, sur le plan financier, et de disposer des agents dévoués et aguerris.
Outre la recherche des éléments opérationnels, ils seront tenus de faire régulièrement une évaluation éthique de tous les acteurs nationaux impliqués. C’est pourquoi le rôle de l’ANR est si crucial en tant que bouclier de la Nation et instrument de l’ambition politique de la République Démocratique du Congo.
La tâche fondamentale de l’ANR est de s’attaquer à l’esprit et au moral de l’Etat tiers dans une parfaite connaissance des acteurs et de l’environnement.
Ainsi, il pourrait réduire sensiblement la vigueur de l’Etat tiers et provoquer une victoire sans coup férir. Comme à l’entrée de l’AFDL à Kinshasa ou comme à l’entrée des Talibans en Afghanistan.
Dans cette perspective, l’état de siège ne peut être prolongé indéfiniment, il finirait par vider les caisses de l’Etat, épuiser les troupes combattantes et affamer nos populations.
Jamais guerre prolongée ne profite à aucun pays, dixit SUN TZU dans l’Art de la guerre.
A ce sujet, les illustrations emblématiques abondent : la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam et la guerre d’Afghanistan. Paraphrasant l’Auteur de l’Art de la guerre, l’on pourrait dire que la tâche de l’ANR consiste notamment à provoquer des modifications pour les tourner à l’avantage de la République Démocratique du Congo.
Pour cela et pour être efficace, la République Démocratique du Congo, à travers ses services de renseignement, devrait déterminer les lignes de force pour orienter à bon escient ses actions diplomatiques avec la lucidité stratégique de quelqu’un qui sait que :
1. Certaines initiatives ne sont pas à prendre,
2. Qu’il y a des armées à ne pas attaquer,
3. Qu’il est des positions à ne pas contester.
C’est la seule façon, pu tout au moins, une façon efficace de préserver et de sécuriser !es intérêts fondamentaux du Pays
L’ampleur et l’importance de la tâche exigent la mise à disposition des moyens conséquents car, les services constituent une armée de l’ombre, destinée à accompagner les FARDC grâce à des actions clandestines.
Il est temps et il convient que la pierre rejetée devienne la pierre angulaire, car en temps de guerre le mépris peut s’avérer une méprise fatale.
Fait à Kinshasa, le 22 /08/2021
Ambassadeur André-Alain ATUNDU LIONGO