La Turquie peut jouer un rôle clé pour réaliser la stabilité de l’Afghanistan

* Après le triomphe des talibans en Afghanistan, la Turquie a opté pour la carte de la diplomatie pour construire un dialogue constructif avec le nouveau pouvoir. Elle souhaite préserver ses intérêts dans la région tout en contribuant à la stabilité du pays

Une nouvelle ère a commencé en Afghanistan après la fuite du président afghan Ashraf Ghani pour éviter un  » bain de sang  » lorsque la capitale Kaboul est tombée aux mains des talibans qui ont signé leur retour au pouvoir dans le pays vingt ans après en avoir été chassés.

La prise de contrôle de Kaboul par les Talibans a créé une onde de choc à travers le monde entier dont notamment aux États-Unis.

Le président américain Joe Biden avait décidé de mettre fin au plus long conflit de l’Amérique en retirant les troupes américaines du pays. Pour ses détracteurs cités par BBC News, cette décision  » a réduit à néant 20 ans de travail et de sacrifices, ouvert la voie à une catastrophe humanitaire et remis en question la crédibilité des États-Unis « .

En effet les premières images diffusées depuis le pays avec l’arrivée des Talibans dans la capitale sont de nature à prouver l’ampleur du drame humanitaire. Des habitants de Kaboul se sont précipités vers l’aéroport pour quitter le pays. Après le départ des derniers vols commerciaux, certains ont même essayé de s’accrocher à un avion de l’armée américaine, ce qui a fait au moins cinq morts. Sur une autre image des opérations d’évacuation on voit plus de 600 Afghans fuyant les talibans vers le Qatar, entassés dans un avion militaire américain.

Alors que la population locale redoute la répression des talibans, les pays européens craignent déjà un important afflux migratoire depuis l’Afghanistan. Lors de son allocution au sujet de la situation en Afghanistan lundi soir, le président français Emmanuel Macron a affiché sa volonté de protéger l’Hexagone de  » flux migratoires irréguliers  » venus d’un pays « déstabilisé « .

Or les talibans veulent jouer l’apaisement en transmettant une image plutôt rassurante lors de leur première conférence de presse mardi depuis la prise du pouvoir à Kaboul. Ils ont notamment déclaré que la guerre était terminée, que tous leurs adversaires seraient pardonnés, qu’ils ne voulaient pas d’ennemi intérieur ou extérieur et que le mouvement s’engageait à laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l’Islam.

Réactions de la Turquie au sujet des développements en Afghanistan

Lors d’une conférence de presse mardi en Jordanie, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavu?o?lu a estimé que les messages envoyés par les talibans depuis leur prise du pouvoir à Kaboul avaient été  » positifs « .  » Nous accueillons de manière positive les messages envoyés jusqu’à présent par les talibans, que ce soit aux étrangers et aux représentations diplomatiques, mais aussi à leur propre peuple « , a-t-il déclaré.  » Nous espérons que cela se reflétera dans leurs actes « , a-t-il poursuivi, ajoutant qu’ils continuaient de  » dialoguer avec toutes les parties en Afghanistan, y compris les talibans « .

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a même évoqué la possibilité d’une prise de contact avec les talibans.  » Nos institutions concernées travaillent actuellement et vont jusqu’à rencontrer les talibans. Peut-être même que je serais en mesure de recevoir celui qui sera leur chef « , a-t-il annoncé.

La Turquie a déployé 500 militaires en Afghanistan dans le cadre d’une mission de l’OTAN visant à sécuriser l’aéroport de Kaboul. Elle a proposé aux Etats-Unis de les maintenir sur place afin de prendre en charge la sécurité de l’aéroport de Kaboul après leur retrait, en échange d’un soutien logistique et financier.

Cependant, après la prise de Kaboul, Ankara a annoncé qu’elle souhaitait œuvrer avec le Pakistan à une stabilisation de la situation dans le pays. Erdogan a annoncé qu’ils continueraient de  » fournir des efforts pour réaliser la stabilité en Afghanistan et dans la région le plus tôt possible « .

Cité par Le Monde, Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) à Istanbul, estime que « tout le monde a intérêt à ce que l’aéroport de Kaboul soit sécurisé afin que les diplomates et les humanitaires puissent continuer à travailler. La Turquie propose de s’en charger. De fait, il lui est facile de négocier avec les talibans via le Pakistan et le Qatar, avec lesquels les relations sont solides « .

Si pour l’instant rien n’est sûr pour savoir si les talibans accepteront ou non la sécurisation de l’aéroport de Kaboul par la Turquie, une chose est certaine : La Turquie adopte une attitude pragmatique devant les talibans en adoptant un langage diplomatique envers le nouveau pouvoir.

Jusqu’au retour de la stabilité et compte tenu du chaos qui règne dans le pays, la Turquie a rapatrié plus de 300 ressortissants d’Afghanistan.

Un autre problème majeur qui inquiète non seulement la Turquie mais aussi tous les pays occidentaux est l’éventualité d’un exode massif depuis l’Afghanistan. Le président Erdogan a déclaré que  » la Turquie fait face à une vague de migrants afghans à travers l’Iran  » et qu’ » une partie importante des migrants afghans irréguliers capturés ont été expulsés vers l’Afghanistan par les institutions concernées « . Pour empêcher l’afflux de migrants afghans, la Turquie construit actuellement un mur de béton de trois mètres de hauteur, érigé sur près de 300 km à sa frontière avec l’Iran.

Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan change radicalement les équilibres géopolitiques et pourrait avoir des répercussions importantes dans le monde. Des spécialistes des relations internationales ont déjà commencé à prédire que le scénario afghan pourrait se reproduire au Mali.  » L’échec des Américains et de la communauté internationale dans ce pays d’Asie centrale relance le débat sur la présence des troupes internationales au Mali et dans le Sahel « , explique le média allemand DW News.

Dans un tel contexte où l’intervention occidentale a échoué dans son objectif de construction d’un Etat afghan, la Turquie pourrait devenir un nouvel interlocuteur plus constructif et rassurant.

Le dialogue que la Turquie construira avec le nouveau pouvoir lui permettra de contribuer à la stabilité du pays tout en lui permettant de préserver ses intérêts dans la région. Quant à l’UE, pour l’instant une ambiguïté règne au sujet de leur attitude vis-à-vis des Talibans.  » L’UE devra parler aux talibans aussi vite que nécessaire, car ces derniers ont gagné la guerre  » en Afghanistan, a déclaré mardi Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne.

Le temps nous dira si les talibans tiendront leurs promesses et serreront la main tendue par la Turquie.

Par Öznur Küçüker Sirene

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