Tunisie: essoufflement du régime politique issu de la révolution du jasmin

La crise politique enfle dangereusement à Tunis depuis que le Président Saïed a gelé les activités du Parlement et démis de ses fonctions le Premier ministre Hichem Mechichi. Pour le chercheur Riadh Sidaoui, le mode de gouvernance tunisien en est responsable. Un héritage de la révolution de 2011 qu’il convient de remettre en question.

« La Tunisie est arrivée à une impasse politique, économique, sociale et sanitaire totale. Il y a une paralysie du système politique tunisien. »

À la suite du gel de l’activité du Parlement et après la destitution du Premier ministre par le Président tunisien, le constat de Riadh Sidaoui est sans appel. Pour le directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (Caraps), la situation explosive que traverse la Tunisie résulte de facteurs conjoncturels et structurels. Néanmoins, un élément demeure central à ce chaos politique: le régime parlementaire tunisien.

Et il n’y aurait plus d’autre choix pour la Tunisie que d’en finir avec ce régime mis en place au lendemain de la révolution du jasmin, en 2011. À l’heure actuelle, le Président n’a comme prérogatives que la diplomatie et la sécurité.

L’instabilité chronique générée par ce mode de gouvernance est la tare centrale qui explique en grande partie les autres problèmes dont souffre le pays.

« Gouverner, c’est prévoir. Ne rien prévoir, ce n’est pas gouverner, c’est courir à sa perte », dit la maxime attribuée à Émile de Girardin. Or, « depuis la révolution de 2011, la Tunisie a connu dix gouvernements« , rappelle Riadh Sidaoui. Difficile de prévoir une politique à long terme avec une telle instabilité! Aucun parti n’a jamais recueilli les fameux 51% nécessaires pour gouverner seul. Faute de majorité absolue, des partis auparavant ennemis comme Ennahdha et Qalb Tounes bricolent des alliances bancales pour s’assurer une représentation au gouvernement.   

Vers un système présidentiel?

Ce jeu de chaises musicales affaiblit l’État. Et ces derniers temps, la Tunisie a essuyé plus d’une tempête. Le pays est en proie à d’importantes difficultés économiques. Extrêmement dépendant de la manne financière du tourisme, il subit de plein fouet les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Le PIB a plongé de 8,8 % l’an dernier. La dette publique avoisine les 100% de ce même PIB, soit plus du double du niveau observé voilà dix ans. Chez les jeunes, le taux de chômage oscille entre 35% et 40%.

Relativement épargné jusqu’au début du mois de juillet, le système de santé croule depuis lors sous l’explosion des cas de Covid-19. « La situation est dramatique. Dans certaines villes, on a des taux de contamination qui n’ont jamais été atteints en Europe et qui sont, en plus, probablement faussés parce que trop peu de gens sont testés », explique à 20 Minutes le docteur Alexandre Mbazaa.

Autant de crises graves qui ne peuvent être réglées dans le cadre du contrat politique et social sur lequel se sont mis d’accord les Tunisiens à l’issue de la révolution du jasmin qui mettait elle-même un terme à un régime présidentiel, analyse Riadh Sidaoui. Il est d’ailleurs fort probable selon lui que le Président Saïed consulte le peuple pour y mettre un terme:

« Il est probable que, au cours des prochains mois, le Président tunisien enclenchera une procédure référendaire proposant de se diriger vers un système présidentiel, plutôt qu’une énième élection dans un système parlementaire qui a largement montré ses limites. »  

Selon notre interlocuteur, le chef de l’État est dans la position idéale pour entamer cette procédure:

« La solidité de la démarche de Saïed découle du fait qu’il a une importante assise populaire. Une grande partie du peuple tunisien le soutient, notamment les mouvements sociaux. Cela vaut aussi pour les syndicats, les partis politiques comme le courant démocrate, et les forces de l’ordre, que ça soit l’armée ou la police. »

En effet, ils seraient nombreux à approuver la démarche du Président qui s’est octroyé les fonctions de l’exécutif. Et ils étaient nombreux à protester surtout contre l’opposition tunisienne. Notamment contre le parti de gouvernement Ennahdha, incapable de faire face à la situation.

« Il n’y a pas de coup d’État, contrairement à ce que prétendent les islamistes. La Tunisie est toujours dans la voie légale. C’est pour ça que l’on n’entend pas les chancelleries internationales crier au scandale », estime Riadh Sidaoui.

Pour le spécialiste du monde arabe, la destitution du chef du gouvernement ainsi que la suspension du Parlement s’inscrivent dans un processus tout à fait « légal ». « Activer cet article [l’article 80 de la Constitution, ndlr] est son droit », conclut le chercheur.

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