(Par Alain de Georges SHUKURANI MUGENGERE, Politologue, Libre-penseur, Président de l’Asbl Jeunes pour l’avenir de la Nation et Membre de la Dynamique des Politologues)
Introduction
L’incandescente proposition de loi Tshiani-Pululu a causé un séisme dans le double champ politique et communicationnel congolais. L’idée première de cette démarche législative a émané du citoyen Tshiani, un candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2018. Depuis plusieurs mois, Tshiani promouvait le schéma de la restriction des droits d’accès à la fonction présidentielle aux seuls congolais nés de père et de mère. Plusieurs observateurs pensaient que cette démarche intensément controversée, qui déjà indiquait de dangereuses fissures politiques, ne serait pas charriée au Parlement. Imperturbable, Tshiani a traversé le Rubicon. Ne disposant pas de la qualité de proposer et déposer une initiative de loi à l’Assemblée nationale conformément à l’article 130 de la Constitution à son premier alinéa, il a convaincu le Député national Nsingi Pululu pour endosser l’initiative. Ainsi, le 8 Juillet 2021, le débat sur cette délicate question a connu un rebondissement spectaculaire avec le dépôt de la proposition de loi modifiant et complétant la loi n°04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise au Bureau de l’Assemblée nationale avec comme auteur le dernier nommé.
Diverses réactions ardentes, validant ou rejetant cette démarche, ont jailli des politiciens, des médias, des analystes, des organisations internationales, voire des autorités ecclésiastiques. Dans cette veine, cette cogitation va, dans une démarche cartésienne, élucider la rationalité de cette proposition de loi dans le prisme de la régulation sociale et, à l’antipode, en saisir les périls relatifs à ses contradictions par rapport aux énoncés constitutionnels existants. La visée est de contribuer à une meilleure intelligibilité de cette problématique, à l’aide des référents normatifs. Ceux-ci éclairent la rationalité et la validité d’une démarche de cette nature qui détermine la cohésion nationale et le progrès collectif dans une nation.
I. De l’analyse de l’exposé des motifs : Une loi pour répondre à quelle problématique tangible ?
Les propositions de loi comportent, dans le droit parlementaire congolais comme dans bien d’autres droits notamment français, deux parties : un « exposé des motifs » rédigé en langage courant pour expliciter l’intention de l’auteur et présenter de manière sommaire les moyens juridiques qu’il envisage pour la réaliser (autrement dit, un argumentaire aussi convaincant que possible) et un « dispositif » rédigé en termes juridiques, qui constitue la partie à vocation normative de la proposition.
Au fait, bien que ne faisant pas partie du dispositif normatif, l’exposé des motifs doit clairement expliquer les différents mobiles qui conduisent le législateur à agir ou à voter un texte. Il permet dès lors d’apprécier avec une relative précision le cheminement de la pensée de l’auteur du texte. Une cohérence entre l’exposé des motifs et la partie normative est alors requise.
En analysant l’exposé des motifs de la proposition de loi dont il est question dans cette tribune, quelques lacunes ou zones d’ombre majeures sont à déceler :
– La non évocation des dispositions constitutionnelles sur lesquelles s’appuie la proposition de loi ;
– L’absence de description d’un véritable problème de société à l’origine de la proposition de loi, notamment s’agissant de l’accès aux fonctions publiques de tous les Congolais;
– L’absence d’explication objective relative à la nécessité de verrouiller l’exercice des hautes fonctions et de ne les réserver qu’aux seuls Congolais nés de père et de mère. L’auteur n’expose pas le problème de manière à prouver qu’il y ait de la nécessité de légiférer sur une telle question. Il ne démontre pas, par exemple, comment avoir eu des « présidents moins congolais » a eu des conséquences négatives sur la marche du pays ou pourquoi verrouiller l’accès à certaines hautes fonctions de responsabilité aux Congolais qui ne sont pas nés de père et de mère est une opportunité de redressement du pays, opportunité de régulation sociale et économique. « Pour des raisons de souveraineté nationale et de loyauté envers la patrie, certaines dispositions doivent être revues s’agissant de l’exercice de certaines hautes fonctions« , telle la motivation évoquée pour priver certains Congolais du droit d’accéder à certains postes, lequel leur reconnu par la Constitution comme on le verra plus tard. Les faiblesses de cet exposé des motifs tiennent notamment au fait qu’il ne permet pas de répondre à certaines questions : Quels problèmes majeurs sont intervenus précédemment en rapport avec les Congolais qui ne sont pas de père et de mère? Quel danger la loi veut-elle éviter et pourquoi ? Quel est le véritable problème que la loi cherche à résoudre dans ce domaine ? Que gagne l’Etat congolais en disposant d’une telle loi ?
– Une motivation moins explicite de concilier les éléments du droit moderne et adapter la loi sur la nationalité aux différents traités et accords internationaux ratifiés par la République Démocratique du Congo, surtout que la Loi n°04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise est antérieure à la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains de ses articles. Cependant, le texte ne fait mention d’aucun Traité ni d’aucun accord international qu’il est impérieux d’harmoniser avec le droit interne.
Cela dit, il appert qu’il n’y a pas assez de mobiles rationnels ou intelligibles pour justifier le verrouillage de l’exercice des hautes fonctions aux seuls Congolais nés de père et de mère. Encore faut-il que ce verrouillage soit conforme à la Constitution. Toutes proportions gardées, il est clair que le populisme dont font montre certains politiciens congolais, la « démocratie illibérale » qu’ils prônent ou veulent promouvoir pour leurs intérêts égoïstes, l’émergence outrancière des identités tribales et le nationalisme aveugle sont générateurs de plus de dégâts que de solutions aux véritables problèmes de leadership et de gouvernance que connait le Congo-Kinshasa depuis plusieurs décennies.
II. De la lecture de l’article 24 de la proposition de loi à l’aune des dispositions constitutionnelles
Dans la partie normative de la proposition de loi sous analyse, seul l’article 24 nous intéresse en raison de sa nature problématique et polémique. Il est le plus susceptible de créer toutes sortes d’agitations possibles. Cet article dispose : « toutefois, pour des raisons de loyauté et de fidélité à la nation congolaise, l’exercice de la fonction du Président de la République, du Président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat, n’est réservée qu’aux seuls Congolais nés de père et mère. L’alinéa premier s’applique mutatis mutandis : au Premier ministre, au Président de la Cour constitutionnelle, au Procureur Général près la Cour constitutionnelle, au Premier Président de la Cour de cassation, au Procureur Général près la Cour de cassation, au Premier Président du Conseil d’Etat, au Procureur Général près le Conseil d’Etat, à l’Administrateur Général de l’Agence Nationale des Renseignements, au Directeur Général de la Direction Générale de Migration, à tous les Généraux des Forces Armées et de la Police Nationale Congolaise« .
Comme dit précédemment, les notions de loyauté et de fidélité à la nation congolaise n’ont pas été explicitées dans l’exposé des motifs. Inversement, il n’a pas été prouvé que les notions de déloyauté et de non fidélité aient été à la base d’un certain problème dans ce pays. Et si le problème existe, celui-ci n’a pas non plus été décrit.
Par ailleurs, il sied de s’interroger si cet article respecte l’esprit et la lettre des dispositions constitutionnelles qui reviennent notamment sur la nationalité, sur le droit d’accès aux fonctions publiques. L’article 13 de la Constitution dispose : « Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique« . Les hautes fonctions évoquées par l’article 24 de la proposition de loi sont des fonctions publiques. Et conformément à cet article 13, tout Congolais a droit d’y accéder. Si une loi doit se conformer à la Constitution et non le contraire, il faut donc commencer par réviser ou modifier la Constitution avant de voter la proposition de loi avec ses préconisations notamment en ce qui concerne le verrouillage des fonctions publiques au bénéfice de seuls Congolais nés de père et de mère. Sinon, dans l’état actuel des choses, la démarche entreprise ne peut qu’énerver la Constitution. Pour s’en convaincre, prenons les cas de l’accès aux fonctions de Président de la République et des Présidents des chambres parlementaires.
Au fait, pour accéder aux fonctions de Président de la République, l’élection en est le seul mode. Aux termes de l’article 72, point 1, l’une des conditions de l’éligibilité à ce poste est de posséder la nationalité congolaise d’origine. Cette nationalité congolaise d’origine est définie à l’article 10 troisième alinéa de la Constitution en ces termes : « Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance« . Cela étant, l’article 24 de la proposition de loi Pululu violerait l’article 72 de la Constitution. En ce qui concerne les fonctions de député ou de sénateur, la Constitution impose notamment la condition d’être Congolais pour y accéder. Les dispositions des articles 102 et 106 ne parlent ni de Congolais d’origine, ni de Congolais de père et mère. Elles parlent plutôt de Congolais. La proposition de loi Pululu veut aussi que les présidents des chambres parlementaires soient Congolais nés de père et de mère. Or, on sait qu’ils sont élus par leurs pairs. En vertu de quoi on interdirait à un député ou à un sénateur, qui jouit d’ailleurs de mêmes droits que ses collègues, de ne pas accéder aux fonctions de président de l’Assemblée nationale ou du Sénat ?
A la lumière de ce qui vient d’être dit, il est logique de dire que l’article 24, pièce maîtresse et source de tous les enjeux de la proposition de loi modifiant et complétant la loi sur la nationalité congolaise, ne permet ni de sauvegarder, ni de promouvoir ni de renforcer l’unité nationale, le respect et la tolérance réciproques comme disposé à l’article 66 de la Constitution de la République Démocratique du Congo.
III. Nécessité de légiférer sur le verrouillage de l’exercice des hautes fonctions
Réserver certaines catégories des fonctions publiques aux seuls Congolais nés de père et de mère est une initiative qui peine à être justifiée. Ses bienfaits aussi bien aux plans politique, économique ou social n’ont pas été prouvés dans le texte. Le texte ne prouve pas non plus que l’accès à toutes les fonctions publiques par tous les Congolais constitue un problème sociétal à résoudre.
Pourtant, tout texte normatif a pour objectif de résoudre un problème social, politique ou économique identifié, en vue d’atteindre un résultat défini (Papa Assane Touré, La légistique. Techniques de conception et de rédaction des lois et des actes administratifs : une tradition de gouvernance normative, Paris, Harmattan, 2018, p.25). Le texte normatif, poursuit P.A Touré, n’est que la traduction juridique d’une solution à un problème de société. Or, le problème n’étant réellement pas identifié, il est impossible de dire que la proposition de loi sous analyse se révèle nécessaire et incontournable.
Un texte de loi qui est susceptible d’affecter de manière significative la situation des personnes ou des institutions publiques ne mérite pas d’être examiné à la légère. En conséquence, j’estime que si la nécessité de verrouiller l’exercice des hautes fonctions au bénéfice des Congolais nés de père et de mère se fait sentir un jour, il sera tout à fait rationnel de mener une étude d’impact et d’opportunité pour éviter tous les éventuels écueils tant sur le plan politique, juridique que social. Cela n’ayant pas été fait, il y a lieu d’estimer que la proposition de loi Tshiani-Pululu n’est pas opportune. Avec la faiblesse du système politique et institutionnel congolais, l’expérience sécessionniste, les menaces de balkanisation, l’entretien des identités ethniques, tribales, provincialistes, il est actuellement hasardeux de conduire le parlement vers le vote d’un tel texte.
Conclusion
Prétendre limiter, par une proposition de loi, certaines fonctions publiques aux seuls Congolais nés de père et de mère au seul motif de loyauté et de fidélité à la nation congolaise parait superfétatoire. C’est une ambition kafkaïenne qui vise plus à diviser qu’à unir, à déconstruire davantage qu’à construire, à discriminer qu’à réguler l’ordre social et économique. N’ayant pas su démontrer le problème qu’elle vient résoudre ou la menace qu’elle tend à prévenir, la proposition de loi modifiant et complétant la loi n°04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise est un piège. Tant politiquement que juridiquement, ce piège risque plus d’embraser la situation de la cohésion nationale que de faire avancer le pays. Avec les vicissitudes imparables tant au plan sécuritaire, économique et social, la République Démocratique du Congo a besoin de tout sauf une pareille loi.
N’estimant pas avoir abordé tous les aspects liés à la nation, à la nationalité, au nationalisme, au verrouillage de certaines fonctions publiques ainsi que leurs conséquences, je caresse le vœu de voir une étude beaucoup plus approfondie être menée par des Politologues, Sociologues, Anthropologues voire Juristes pour éventuellement essayer de prouver ce que je n’ai pu faire dans ces quelques lignes et dans un timing si réduit. Toute recette, toute stratégie, toute solution qui ne serait pas le fruit des réflexions scientifiques est présumée conduire à l’échec (Emile BONGELI, Sociologie politique : perspectives africaines, Paris, Harmattan, 2020, p.62). A présent, s’il y a une chose que je puisse demander aux députés nationaux est qu’ils bottent en touche la proposition de loi en question.