Afani Idrissa Mangala: « Au Maniema, l’instabilité politique n’existe plus »

A la tête de la province du Maniema depuis exactement deux mois, M. Afani Idrissa Mangala redonne déjà du sourire aux populations de cette province, victime de clivages politiques. En séjour à Kinshasa depuis une semaine, le gouverneur ad intérim affirme avoir réussi à réduire des zones de tension, à réhabilité quelques tronçons de route et à ramener l’eau et l’électricité à la province…

Des confidences faites à Forum des As au cours de cet entretien exclusif.

Voici pratiquement deux mois que vous êtes aux commandes de la province de Maniema.  Comment se présente la situation à ce jour ?

La province du Maniema se présente dans un état relativement calme, sauf imprévu. Sur le plan sécuritaire, à l’époque lorsque nous avons pris le pouvoir, la province était caractérisée par le banditisme urbain, les coupeurs des routes, les groupes armés qui écumaient au moins trois territoires (Kaïlo, Punia, Lubutu…au Nord, Kabambare et Kasongo au Sud). La province était également caractérisée par une instabilité politique, qui a occasionné une motion de défiance diligentée contre le Gouverneur titulaire Musafiri et son vice Ahmadi Lubenga.

Lorsque nous avons pris le pouvoir le 30 mai 2021, après la déchéance du Gouverneur et de son vice, nous avons commencé par renforcer la sécurité dans la ville de Kindu. On s’est attelé à mettre fin au banditisme urbain. Nous avons, en outre, organisé une caravane de la paix dans le territoire de Kabambare où nous avons réussi à mettre un terme aux affrontements entre les miliciens Malaïka et l’armée loyaliste.

Sur le plan social, nous avons rétabli l’électricité et l’eau qui ne coulait plus dans la ville de Kindu. Nous avons dû, à cet effet, nous entretenir avec la direction provinciale de la Regideso qui a rétabli l’approvisionnement en eau dans toute la ville.

Sur le plan des infrastructures, nous avons commencé à construire des ponts à travers la ville de Kindu, en commençant par le pont Kapondjo. Ensuite, nous avons amorcé les travaux de réhabilitation de la route Kindu-Kalima sur un tronçon de 101 kms. Aussi l’axe routier Kayembe – Salamabila, déployé sur au moins 30 kms…

Le gouvernement provincial a aussi octroyé des fonds à une école de Mwanandeke. C’est aussi là que nous avons déboursé des frais pour le forage d’un puit d’eau, mais aussi à 16 kms de Kalima… Ce sont là les actions que nous avons réalisées à pratiquement 60 jours après notre prise de fonctions.

Maniema est considéré compte l’une des provinces les plus enclavées du pays. Comment comptez-vous procéder pour lever les obstacles ambiants ?

Effectivement, la province du Maniema est totalement enclavée. Lorsque l’on considère les voies routières, notre province recourt à deux principales artères pour écouler ses produits. Il s’agit des axes Kindu – Bukavu et Kindu – Kisangani. Justement sur l’axe Kindu-Kisangani, il y a un obstacle au niveau du pont Ulindi qui a été coupé en deux, rendant la route impraticable. Il fallait donc une intervention urgente pour réparer ce pont qui relie le territoire de Kailo à celui de Punia.

Quant à la route qui mène à  Bukavu, elle est devenue opérationnelle depuis que nous avons amorcé des travaux de réfection sur le tronçon Kayembe – Salamabila qui posait problème. Cette voie facilite l’accès aux territoires de Kailo, Pangi, Kasongo, Kabambare… Il nous reste présentement au moins 20 kilomètres à réhabiliter pour rendre cette artère complètement viable. Or, pour ce faire, il nous faut des moyens conséquents. Ce qui n’est pas encore le cas pour notre province qui se reconstitue.

Voilà pourquoi notre Gouvernement provincial se force pour mobiliser davantage de ressources en vue de financer l’Office des routes afin qu’elle puisse finaliser les travaux. 

Pour sa part, la voie ferrée est également dans un état défectueux. Datant de l’époque coloniale, nos rails, érigés par les Belges, se sont détériorés au fil du temps. La Société nationale de chemin de fer (SNCC), qui entretenait régulièrement la voie ferrée, est aujourd’hui en difficulté. Il nous faut, à cet effet, remettre à niveau ces infrastructures pour rebooster le trafic. Vous comprenez donc que la province du Maniema est enclavée. Elle a, dès lors, besoin, de l’intervention du Gouvernement central, puisque le gouvernement provincial n’a pas assez de moyens. Nous disposons des ressources limitées. Mais, nous intervenons seulement, même si nous n’avons pas la capacité de remettre en état toutes les routes à caractère national.   

Au regard des infrastructures défectueuses, comment les communautés paysannes arrivent-elles à écouler leurs produits ?  

La province du Maniema était jadis considérée comme un grenier agricole. C’est suite au délabrement des routes à caractère national qu’il est aujourd’hui difficile d’évacuer nos produits des champs. A l’époque, lorsque toutes les infrastructures étaient viables, Maniema approvisionnait l’ex-Province Orientale, l’ex-province du Katanga et les deux Kasaï. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. A ce jour, les agriculteurs ne sont plus motivés à cultiver de larges étendues de champs. Ils sont découragés, non seulement par l’état défectueux de routes, mais également par l’insécurité.

A titre illustratif, le territoire de Kabambare, à vocation agricole et minière, est occupé par des miliciens Maï-Maï Malaïka. Ce qui a poussé nombre d’agriculteurs et d’autres couches de la population à émigrer vers des zones jugées plus sécurisantes. Il en est de même du territoire de Kailo, occupé par d’autres Maï-Maï. Il y a, en outre, les territoires de Punia et Lubutu, qui étaient envahis par des Maï-Maï Simba.

Dès lors, depuis que notre équipe a pris fonction, nous nous sommes assigné l’objectif de sécuriser toute la province. C’est pourquoi nous avons organisé la  caravane de la paix, qui a démarré par le territoire de Kabambare. Nous irons, par après, dans les  territoires de Punia et Lubutu, au nord de la province. Ce sera l’occasion pour nous de  dissuader les miliciens à cesser les hostilités avec  l’armée nationale. Ce qui permettra aux agriculteurs, qui ont fui leurs terres, de regagner leurs  champs et de reprendre la  production.

Le défi sécuritaire exige donc de grands moyens et nécessite l’intervention du Gouvernement central. Lorsque nous, gouvernement provincial, nous nous investissons pour mettre un terme à l’insécurité, en demandant aux miliciens de cesser les hostilités et de quitter la forêt, cela implique que nous puissions, tout d’abord leur trouver un site d’hébergement. Ensuite, il nous faut les cantonner, leur trouver des moyens de survie, les identifier, les désarmer et assurer leur insertion dans la vie communautaire. Si donc on arrive à mettre un terme à la guerre dans les différents territoires que je viens d’énumérer ici, alors là nous pouvons inciter les  gens à cultiver. Le Maniema pourra redevenir le grenier de la région, en récupérant son rôle traditionnel de pourvoyeur agricole.

Votre province arrive-t-elle aujourd’hui à bénéficier de rétrocessions garanties  par  la Constitution ?           

  C’est un problème crucial. Vous savez, si vous voulez aujourd’hui développer une province, vous ne devez pas dépendre de la rétrocession. Sinon, c’est un affaiblissement du pouvoir local !

Nous, nous devons miser sur nos efforts propres pour créer de la richesse. Et pour ce faire, il faudrait inciter les gens au travail. Lorsqu’il y a la sécurité, les gens vont cultiver, les miniers vont creuser… Nous, nous allons encadrer leurs efforts et les aider à produire. Et lorsqu’il y aura la production, la province aura alors des moyens… Pour le moment, au Maniema, nous avons passé des mois et des mois sans bénéficier de la rétrocession! Et, dans cette enveloppe, lorsque nous percevons les frais de fonctionnement, ils arrivent à peine à 193 millions de francs congolais, l’équivalent de 90.000 dollars.

Or, le gouvernement provincial, en termes de salaires du personnel, avoisine au moins 300 millions de francs congolais. Ce  qui équivaut à environ 150.000 dollars américains.

Si donc nous dépendons tout simplement de la rétrocession, on n’arrivera jamais à payer le personnel du gouvernement provincial et on ne peut jamais envisager un projet de développement dans la province.      

Au regard de ces réalités, quelles pistes de solutions préconisez-vous?   

 En dehors de l’intervention du Gouvernement central, nous nous sommes résolus de  ne comptez que sur nos propres moyens. Pour ce faire, nous devons sécuriser l’étendue de la province du Maniema. Ce qui va inciter les entrepreneurs à venir investir chez nous dans différents secteurs (mines, agriculture, environnement…), d’autant que nous avons maintenant une province calme, pacifiée…

Comment alors êtes-vous arrivés, en moins de deux mois, à réduire des poches de conflits, à réfectionner des routes, à réhabiliter l’eau et  l’électricité dans une province où les ressources s’avèrent déficitaires ?

Quand on gère, il faut savoir cibler les secteurs générateurs de richesses. Et ensuite, veiller à éviter des dépenses inutiles et canaliser les ressources. La méthode sur  laquelle nous nous appuyons, c’est la rigueur dans la gestion. Depuis que nous avons pris les affaires en mains, à la tête de la province, nous nous efforçons d’appliquer l’orthodoxie financière. Nous nous attelons à canaliser les ressources vers le social. Si vous ne le faites pas sur  le plan  social, vous n’arriverez pas à œuvrer pour le développement de votre province. Lorsque vous investissez dans le social, vous incitez les gens à travailler.

Quel message adressez-vous présentement aux ressortissants de Maniema qui aimeraient investir dans leur province?  

Ils doivent savoir que le Maniema appartient à tous. C’est un patrimoine commun. C’est vrai que notre province a été, il y a peu, caractérisée par l’instabilité politique. Maintenant, cette instabilité politique n’existe plus. Nous avons une politique d’ouverture, et non une politique d’exclusion, comme les autres voulaient le faire.

Le Maniema n’appartient donc pas à une catégorie de gens. Ceux qui veulent investir doivent savoir que notre province n’est pas réservée à une frange de personnalités. Tout le  monde  doit  mettre la main à la  pâte pour que le Maniema avance comme tant d’autres provinces. Nous devrons mettre toutes nos intelligences ensemble pour la faire avancer.       

Propos recueillis par Yves KALIKAT

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