La question kasaïenne aujourd’hui

Cette première quinzaine du mois de juin 2021 a été fort éprouvante pour les nerfs des internautes patriotes-nationalistes congolais, originaires de l’espace Kasaï.  Je revendique cette identité.

Mon inquiétude, déjà ancienne je l’avoue, endormie a été réveillée, renouvelée et renforcée par la diffusion d’un audio, vraisemblablement enregistré et propagé par une compatriote originaire de l’espace frère du  grand Katanga. A considérer le grand nombre de groupes WhatsApp et autres réseaux sociaux ayant repris cet audio, j’estime qu’il a été objet d’un véritable buzz. Fallait-il se taire, comme me l’ont conseillé certains amis ? A mes risques et périls, j’ai choisi la voie contraire : réagir. Je m’exprime, non pour verser dans une improductive polémique, mais afin de proposer des sentiers de sortie susceptibles de tranquilliser  les uns et de sauver l’honneur des autres et, si possible, d’entrainer le pays vers le progrès.

L’audio en question, semblant répondre à un autre document sonore que je n’ai eu l’occasion d’écouter, apparait à la fois comme une protestation, une expression d’un ras le bol, un réquisitoire injurieux par moment et, surtout, un avertissement à l’adresse des kasaiens vivant dans le grand Katanga.

Un des brillants intellectuels universitaires kasaiens, basé à Kinshasa, a réagi en ces termes ; « les lendemains seront difficiles …« . Pour ma part, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux tristes évènements orchestrés par Nguz Karl-I-Bond  et Kyungu wa Kumuanza pendant les années Mobutu. Et pourtant, je me souviens qu’à l’initiative des sages, les deux communautés s’étaient réunis, il y a près de deux décennies, à Sanga Lubangu, berceau de nos lignées respectives, afin de baliser le chemin d’un avenir de paix et de développement.

Le contenu de l’audio

En dehors de quelques « méchancetés » l’enregistrement de la compatriote rappelle notamment certaines considérations que les Congolais entendent depuis belle lurette. A propos des kasaiens, elle avance :

–      Vous devriez avoir honte ;

–      Vous êtes des gens intelligents oui, mais pourquoi cette intelligence ne s’exprime pas chez vous ?

–      Votre excellence ne peut-elle s’exprimer que chez les autres ?

–      Pourquoi les Kasaiens, qui n’apprécient pas le traitement leur réservé au Katanga, ne rentrent pas chez eux ;

–      Pourquoi les Kasaeins ne construisent pas chez eux ? Ne développent pas leur région ?

–      Pourquoi les Kasaiens ne s’inspirent-ils pas de l’excellence katangaise pour améliorer les conditions de vie dans leurs contrées ?

–      Pourquoi les Kasaiens ne sont pas ordonnés, manquent de discipline ?

–      Vous avez l’esprit nomade, de vagabondage, votre province est obscure ;

–      Si vous n’êtes pas contents au Katanga, rentrez chez vous ;

–      Le Katanga a été généreux avec tout le Congo, il vous a tout donné, la formation, des terres, des carrés miniers ;

–      Vous avilissez tout, ne construisez rien chez vous, partout où vous allez tout sombre ;

–      Pourquoi vous fuyez chez vous ? Et vous voulez vous imposer partout ?

Et enfin, la diatribe se termine par un conseil, il est vrai un peu narquois : si tous les Kasaiens du Katanga, du Canada et d’ailleurs construisent ne fût-ce  qu’une maison au Kasaï, cette contrée pourrait progresser.

Que répondre ?

Comment réagir pour que la crainte ou la prophétie, « …les lendemains seront difficiles « , de l’universitaire kinois cité plus haut ne se concrétise ?

Ce discours sévère, colérique, ayant des accents extrémistes, se révèle en fait l’expression d’une exaspération, d’une frustration (la dame utilise la notion) ; il ne doit pas trouver comme seule réponse, la réplique habituelle : Tout Congolais a le droit de s’installer, où bon lui semble, sur l’ensemble du territoire national.

La position de Madame mérite analyse et réflexion de la part de tous les responsables congolais certes, mais spécialement des kasaiens, que nous sommes.

Il s’impose que la RD Congo demeure un pays légalement unitaire, il est aussi évident que l’immense majorité de l’élite politique congolaise se montre à la recherche de la consolidation de l’unité nationale dans nos consciences ; j’en suis heureux et fier. Et pourtant,  Il n’en demeure pas moins que, même dans un Etat de droit et de démocratie apaisée, la seule réponse constitutionnelle ou politique ne suffit pas.

Dans certaines circonstances, ce que les uns considèrent comme un droit est perçu par d’autres comme une  générosité, et Dieu sait que celle-ci  ne se réclame pas ! Comme l’a disséqué dernièrement le professeur Jean Kambayi Bwatshia dans une brillante tribune,  la volonté politique des Congolais de demeurer une Nation a été démontrée. Nous avons effectivement résisté à de nombreuses tentatives tribalistes ou extérieures de balkanisation. Mais sommes-nous définitivement vaccinés contre ce fléau ? Je crains que non ! Le vivre ensemble a ses exigences, il doit se concevoir, se construire, s’entretenir et se cultiver.

Il va sans dire qu’il faut encore persuader certains de nos frères et sœurs du grand Katanga, notamment, que la République Démocratique du Congo est une et indivisible, et que tous les enfants de la Nation congolaise sont chez eux, n’importe où sur le territoire national. Il faut également convaincre ceux qui se déplacent à l’intérieur du pays de tenir compte du respect et de la considération que méritent et demandent légitimement les autres. Notre origine est la même, nos valeurs sont proches, notre dessein nous le voulons commun certes, mais l’histoire nous  a parfois marqué d’empreintes différentes, il convient d’en tenir compte et de les respecter.

Cela étant, malgré son caractère sévère, pour ne pas dire plus, il vaudrait mieux appréhender  l’audio de notre compatriote dans un esprit constructif ; ignorer les insultes, renoncer à présenter les explications et justifications historiques objectives de l’immigration kasaiene qui, pourtant, existent et ne retenir que la question principale et pertinente qui nous est adressée : pourquoi l’excellence des Kasaiens ne s’exprime qu’à l’extérieur de leurs milieux d’origine ?

Une solution possible

J’ai toujours soutenu que l’utilisation machiavélique des kasaiens par la colonisation, en  éparpillant nos parents à travers le territoire de la colonie, s’était avérée être un avantage certes, mais fut surtout un piège. Aujourd’hui, force est de constater que beaucoup d’entre nous s’enferment dans une autre trappe, celle de l’oubli de chez soi. Et pourtant, la sagesse de nos aïeuls nous apprend que : Kua benda kulu kwa mutshi !

Dans le même ordre d’idées, voilà quelques années, le talentueux guitariste, auteur-compositeur kasaien-songué, Mputu Ebondo alias Mi Amor exhortait, dans une charmante mélodie, les leaders de son coin à se rappeler leurs terroirs, abandonnés. D’autres artistes ont chanté sur des thèmes semblables, au Sankuru et ailleurs.

Nous aimons tant crier à tue-tête lors de nos rencontres : Kuetu ka kujiminyi ! Est-ce que nous avons agi et agissons en conséquence ? Bien souvent, nous semblons nous contenter de nos  » réussites  extérieures « , pourtant si relatives.  Faut-il remuer le couteau dans la plaie et rappeler les gaspillages de la période faste du diamant facile ?

Kuambilangana mutudi ki mbulanda  kufua.

N’est-ce pas le moment de prendre conscience, tout en nous affirmant 100 % Congolais, de nos spécificités historiques, sociologiques, socio-psychologiques et que sais-je encore ? N’est-il pas temps d’élargir nos horizons, de sortir de nos individualismes, de nous remettre en question, comme le disait si bien le Mukulumpa Mabika Kalanda ? Il devient urgent de nous mobiliser afin de donner à la terre de nos ancêtres un autre visage, plus attractif et à nos enfants une fierté plus conséquente.

La mobilisation suggérée ici ne se concevra pas contre les autres entités politico -administratives congolaises, mais en parfaite harmonie avec elles, dans l’intérêt de la consolidation de la Nation. La mobilisation du Kasaï concerne toutes les cinq provinces de l’espace communément appelé  » grand Kasaï  » dans un esprit éloigné du tribalisme et de tout clanisme.

Le temps est arrivé de revisiter et relancer les initiatives ou tentatives d’élaboration des projets de développement de nos pères, notamment Tshongo Tshibi Kubula wa Ntumba (Codesco) et Mukamba Kadiata Nzemba,(Codecor) sans oublier celles des autres leaders et cadres.

Certaines fois, il s’avère sage de prendre les invectives comme des conseils. Tabalayi !

Merci.

Jean Pierre Kambila Kankwende wa Mpunga

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