La CENCO fustige une justice sous la botte des politiques

* Pour les évêques catholiques, le pays va mal, le pouvoir judiciaire est utilisé pour écarter des adversaires politiques.

* Les princes de l’Eglise déplorent également le népotisme, le tribalisme… des anti-valeurs qui menacent la cohésion nationale.

La justice à double vitesse, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) n’en veut pas. Les évêques catholiques fustigent « cette justice gangrénée par la corruption et instrumentalisée par le politique ». C’est du moins l’essentiel du message du clergé congolais, diffusé hier lundi, à l’issue de la 58ème Assemblée plénière de la Cenco, tenue du 14 au 18 juin dernier à Kinshasa.

Selon les évêques catholiques,  » la justice continue d’être mal rendue au pays« . Pourtant, précise la CENCO, « la justice est l’un des piliers d’un état de droit : elle grandit une nation ».

Dans notre pays, elle continue à être mal rendue. Gangrenée par la corruption et l’instrumentalisation par les politiques. Pour plusieurs de nos compatriotes, l’appareil judiciaire est perçu comme une officine de combines, un espace de règlement des comptes et cautionnement des injustices « , a déclaré le porte-parole de la CENCO l’abbé Donatien N’Shole.

Pour les évêques, « la corruption, hélas, semble être le principal moyen pour gagner un procès. Le droit cède, dès lors, la place au clientélisme, au régionalisme, au tribalisme et au népotisme. La cohésion nationale est ainsi mise à mal, particulièrement quand la justice est exploitée pour écarter les concurrents politiques« .

D’après eux, « la population a bien accueilli la fin de la coalition et l’avènement du nouveau Gouvernement censé répondre à ses besoins. Il s’avère que, dans la réalité, le budget national privilégie les institutions politiques au détriment du bien-être de la population. Cette injustice ne fait que renforcer les inégalités sociales« .

L’épiscopat congolais décrie, en outre, la politisation de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), estimant qu’elle ne rassure pas ». Les évêques notent que cette politisation de la centrale électorale « ne garantit pas un processus électoral crédible« . Ce qui prédispose, selon eux, aux contestations et autres crises post-électorales.

« (…) La politisation de la CENI, avec la prédominance de la nouvelle Majorité au pouvoir telle qu’adoptée au Parlement ne rassure pas tous les acteurs politiques et sociaux, et ne garantit pas un processus électoral crédible. Ce qui porte les germes de contestation et de crises de légitimité qui fragilisent davantage la cohésion« , lit-on dans ce message lu par le secrétaire général de la CENCO, l’abbé Donatien N’Shole.

Les évêques de RDC recommandent, de ce fait au Parlement d’améliorer sensiblement la loi électorale « afin de rassurer tous les acteurs ». « Le Gouvernement doit s’assurer, quant à lui, du respect du cycle électoral« , alerte la CENCO appelant le peuple congolais  » à la vigilance pour la tenue des élections en 2023 « .

Les évêques appellent le peuple à  » former une communauté nationale autour des idéaux de liberté, de fraternité, de solidarité, de justice, de paix et de travail « . Ils disent avoir « apprécié à leurs justes valeurs, les premiers gestes du Président de la République, notamment la décrispation du climat politique et la liberté d’expression dans les médias, la libération des prisonniers politiques et d’opinions, le retour au pays des exilés politiques, la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement de base, et aujourd’hui la proximité avec nos frères et sœurs sinistrés par l’éruption du volcan Nyiragongo« .

Pour les princes de l’Eglise catholique, ces gestes « renforcent l’unité du Congo et la cohésion nationale. Cependant, notent-ils,  » cette unité est de plus en plus menacée par les antivaleurs telles que le népotisme, le tribalisme, le régionalisme, le clientélisme, l’exclusion des adversaires politiques, des pratiques et des discours qui fragilisent les liens sociaux. Cet état de choses brise le rêve commun et compromet la cohésion nationale sur plusieurs plans « .

Au regard de cette situation, la CENCO recommande au Président de la République de  » promouvoir les initiatives favorisant l’unité nationale, veiller à la bonne représentativité géographique dans les institutions  » et de  » mettre davantage l’Armée dans les conditions qui lui permettent de répondre efficacement à sa mission de défendre et de sauvegarder l’unité et l’intégrité du territoire national« .

Lire en page 3 l’intégralité de la communication des prélats.      

Rachidi MABANDU

MESSAGE DE LA 58ème ASSEMBLEE PLENIERE DE LA CENCO

 APPEL A LA COHESION NATIONALE – SOYONS UNIS (cf. 1Co 1, 10)

1. Nous, Cardinaux, Archevêques, Evêques et Administrateur Apostolique, réunis à Kinshasa en la 58ème Assemblée Plénière ordinaire de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), du 14 au 18 juin 2021, nous sommes penchés, entre autres, sur la situation actuelle de notre pays.

 2. En vertu de notre ministère pastoral et prophétique, nous lançons un appel à la cohésion nationale pour un Congo stable où règnent la justice et la paix.

I. La cohésion, une force dans l’épreuve

 3.   » Unis par le sort, unis dans l’effort « , nous Congolais, sommes appelés à former une communauté nationale autour des idéaux de liberté, de fraternité, de solidarité, de justice, de paix et de travail, comme chanté dans notre hymne national. Cette vision d’un Congo uni et fort, nous la manifestons souvent, comme à l’occasion de participation à des compétitions sportives, de l’octroi des titres internationaux à nos compatriotes ou quand la souveraineté de notre pays est menacée. Le même élan a été traduit plusieurs fois dans les cadres de concertation entre Congolais qui ont toujours permis  de trouver un consensus qui renforce la cohésion et l’unité nationale.

 4. Dans cette perspective, nous avons apprécié à leurs justes valeurs, les premiers gestes du Président de la République, notamment la décrispation du climat politique et la liberté d’expression dans les médias, la libération des prisonniers politiques et d’opinions, le retour au pays des exilés politiques, la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement de base, et aujourd’hui la proximité avec nos frères et sœurs sinistrés par l’éruption du volcan Nyiragongo.

 5. Ces gestes renforcent l’unité du Congo et la cohésion nationale. Cependant, nous constatons que cette unité est de plus en plus menacée par les antivaleurs telles que le népotisme, le tribalisme, le régionalisme, le clientélisme, l’exclusion des adversaires politiques, des pratiques et des discours qui fragilisent les liens sociaux. Cet état de choses brise le rêve commun et compromet la cohésion nationale sur plusieurs plans qui deviennent de véritables défis.

II. Les défis

 Sur le plan socio-politique

 6. L’option de la politisation de la CENI, avec la prédominance de la nouvelle Majorité au pouvoir, adoptée au Parlement, ne rassure pas tous les acteurs politiques et sociaux, et ne garantit pas un processus électoral crédible. Ce qui porte les germes de contestation et de crises de légitimité qui fragilisent davantage la cohésion.

 7.  Le processus constitutionnel de la décentralisation et du découpage des Provinces, initié dans le pays était censé rapprocher les gouvernants des gouvernés et lancer des dynamiques de développement endogène à partir de la base. Depuis le découpage territorial du pays en 26 Provinces, nous assistons à une instabilité chronique des institutions provinciales due, essentiellement à des manipulations politiciennes et à la cupidité de certains. Pareils comportements divisent les communautés au niveau des provinces et ne contribuent nullement à la consolidation de la démocratie ni à l’amélioration des conditions de vie de la population.

Sur le plan socio-économique

 8. Les efforts fournis par le Gouvernement méritent d’être soulignés, notamment la hausse des réserves de change au niveau de la Banque Centrale, et des initiatives prises dans les différents ministères. Mais, la majorité de la population continue à faire face à l’extrême pauvreté. Curieusement, à côté d’elle, il y a encore et toujours une poignée de compatriotes qui s’enrichit de façon scandaleuse et sans cause. D’aucuns se demandent si ce n’est pas le fruit de la corruption et du détournement des deniers publics au profit personnel. Cette situation a aussi un impact négatif sur la cohésion nationale dans la mesure où elle creuse davantage le fossé entre les riches et les pauvres.

Sur le plan sécuritaire et humanitaire

 9.   Nous avons, à plusieurs reprises, dénoncé l’insécurité et les violences qui endeuillent notre pays, plus spécialement dans le Nord et le Sud Kivu, ainsi qu’en Ituri. Ces événements malheureux, qui secouent notre pays, doivent être pour nous un motif d’assumer nos responsabilités et de resserrer davantage nos liens de solidarité et de fraternité (cf. 1Co 12, 26), afin de raffermir notre amour de la Patrie. En ce sens, nous saluons les dispositions militaires prises par le Président de la République et l’Etat de siège récemment décrété dont nous espérons les effets positifs. Cependant, nous déplorons le fait que certains de nos compatriotes pactisent encore avec les agresseurs pour des fins égoïstes, et d’autres en font une exploitation politicienne pour en tirer des dividendes.

Sur le plan de la justice et des droits humains

 10.  La Justice est un des piliers d’un Etat de droit ; elle grandit une nation (cf. Pr 14,34)[4]. Par contre, dans notre pays, elle continue à être mal rendue, gangrénée par la corruption et instrumentalisée par le politique. Pour beaucoup de nos compatriotes, l’appareil judiciaire est perçu comme une officine de combines, un espace de règlement des comptes et de cautionnement des injustices. La corruption, hélas, semble être le principal moyen pour gagner un procès. Par ailleurs, le droit cède la place au clientélisme, au régionalisme, au tribalisme et au népotisme. La cohésion nationale est ainsi mise à mal, particulièrement quand la Justice est exploitée pour écarter les concurrents politiques.

 11.   La population a bien accueilli la fin de la coalition et l’avènement du nouveau Gouvernement censé répondre à ses besoins.  Il s’avère que, dans la réalité, le budget national privilégie les institutions politiques au détriment du bien-être de la population. Cette injustice  ne fait que renforcer les inégalités sociales.

III. Nos recommandations

 En vue de renforcer l’unité et la cohésion nationale, nécessaires pour le développement du pays, nous recommandons :

  A Son Excellence Monsieur le Président de la République

 12. – De promouvoir les initiatives favorisant l’unité nationale ;

– De veiller à la bonne représentativité géographique dans les institutions, notamment en décourageant le tribalisme ;

–   De mettre davantage l’Armée dans les conditions qui lui permettent de répondre efficacement à sa mission de défendre et de sauvegarder l’unité et l’intégrité du territoire national ;

– De poursuivre véritablement la lutte contre la corruption et l’impunité.

    Au Parlement

 13.- De ne pas voter les lois qui préconisent la discrimination et menacent la cohésion nationale ;

–   D’initier les lois qui détribalisent les institutions ;

–   De ne pas abuser des immunités parlementaires pour échapper à la justice ;

– D’améliorer sensiblement la loi électorale afin de rassurer la population de la crédibilité des élections en 2023.

  Au Gouvernement

 14.- De rééquilibrer les dépenses des institutions proportionnellement aux besoins de la population ;

–   De promouvoir des projets de société qui renforcent l’intégration nationale, tels que la construction des routes nationales ;

– D’évaluer au niveau national le processus de la décentralisation et les moyens les plus efficaces de stabiliser les institutions provinciales et de les mettre au service de la population ;

–   De veiller au respect du cycle électoral, gage de la démocratie ;

–   De revaloriser les fêtes nationales et les symboles forts de la Nation.

A nous, Peuple congolais

 15.  – De ne pas nous laisser entrainer par des discours et des actions séparatistes, car c’est la cohésion qui permet de souder le pays même dans les épreuves ;

– De soutenir toute bonne initiative de notre Gouvernement, au-delà de nos tendances politiques ;

– De lutter ensemble contre la pandémie du Coronavirus en respectant les gestes barrières et en nous faisant vacciner afin de nous protéger et de protéger les autres ;

–   De demeurer vigilant pour la tenue des élections en 2023.

A la Communauté Internationale

 16.- D’appuyer les projets promoteurs de la cohésion nationale ;

–   D’évaluer le rôle des pays voisins de la RD Congo dans la persistance des violences et des massacres ;

– D’aider la RD Congo à lutter contre tous les mouvements fondamentalistes qui se     déploient dans le pays.

Conclusion

 17. Unis par le sort, les uns ayant   » la nationalité congolaise d’origine « , les autres l’ayant  » d’acquisition individuelle « [5], nous sommes tous, à titre égal, filles et fils de la RD Congo. Nous sommes invités à apprécier ce que nous sommes, apprécier aussi les autres, afin de mettre ensemble ce qui nous est commun et ce qui nous différencie, pour le plus grand bien de tous et la gloire de Dieu. La diversité des tribus fait partie du patrimoine qui constitue le Congo, ce don béni que nous avons reçu de nos aïeux. Elle ne doit pas nous porter à l’exclusion des autres, mais plutôt à une opportunité d’enrichissement des uns et des autres, et une base pour le développement de notre Nation.

 18.  Comme Saint Paul l’a recommandé aux Colossiens en affirmant  » Là, il n’est plus question de Grec ou de Juif, … de Barbare, …, d’esclave, d’homme libre ; il n’y a que le Christ, qui est tout et en tous  » (Col 3, 11), nous vous prions, chers filles et fils de la RD Congo, de ne pas réfléchir ni agir en terme d’origine, de tribus ou de région. Soyons unis (cf. 1Co 1, 10) pour un Congo fort et prospère.

 19. Au regard de l’impératif de sauvegarder la cohésion et l’unité nationale, nous décrétons pour l’Eglise-Famille de Dieu qui est en RD Congo, une Journée de prière pour l’Unité nationale, en la date du 30 juin 2021.

 20.  Par l’intercession de la Vierge Marie, Notre Dame du Congo, et par celle de nos Bienheureux Isidore Bakanja et Marie-Clémentine Anuarite, que Dieu bénisse la RD Congo et son Peuple.

Fait à Kinshasa, le 18 juin 2021

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