Le trésor public congolais a perdu soixante milliards de francs congolais, soit l’équivalent de 12,5 millions de dollars américains pendant 10 mois, du fait des fictifs et des écoles fantômes qu’un réseau mafieux a alignés sur le fichier de la paie des enseignants du secteur de l’EPST (Enseignement primaire, secondaire et technique). C’est ce que révèle l’Inspecteur général des Finances (IGF), dans un entretien avec Peter Tiani, sur sa télévision YouTube.
» Chaque mois, ces gens ont classé des enseignants fictifs et des écoles inexistantes sur la liste de paie. Du fait de cette opération, nous perdions mensuellement 3 milliards de Francs congolais, soit 1,5 millions de dollars américains. Faites-en alors le cumul de deux ans, parce que nous avons procédé au contrôle pour les années 2019 et 2020. Quand nous prenons dix mois, le total donne 60 milliards de Fc que l’Etat congolais a perdus « , explique Jules Alingete.
Soixante milliards de francs congolais, les chiffres donnent de la sueur froide au dos, dans un pays comme la RD Congo, avec un faible budget annuel de l’Etat chiffré à quelque 5 milliards de dollars américain. Doit-on dès lors, penser à une exagération ou à des chiffres délibérément gonflés dans le but de nuire ? « Loin s’en faut« , rétorque les dents serrées, Jules Alingete.
« C’est quand même l’Inspection générale des finances du pays. Nous ne pouvons pas avancer des chiffres imaginaires. A tous ceux qui crient ou qui pensent que nous leur avons imputé de faux chiffres, je demande de saisir la justice et ils seront tout de suite arrêtés. Ils doivent d’eux-mêmes, se livrer à un examen de conscience pour évaluer le degré, l’ampleur du préjudice qu’ils ont causé à l’Etat congolais. 60 milliards de perdu, c’est énorme ! Peut-être que ces maffiosi sont étonnés des dégâts qu’ils ont commis« , renchérit le numéro 1 de l’Inspection générale des finances, de plus en plus actif depuis le changement de régime intervenu en janvier 2019 au pays.
Jules Alingete précise, par ailleurs, qu’il s’agit d’un circuit mafieux bien mis en place, composé de 15 personnes qui, chaque mois, se partageaient les 3 milliards de francs congolais, fruit de leur opération.
ALORS QUE PRES DE 249.748 ENSEIGNANTS NOUVELLES UNITES ATTENDAIENT…
Ces révélations de l’Inspection générale des Finances sont faites pendant qu’un scandale de détournement d’importantes sommes, dues à la paie des enseignants, a éclaté en février dernier au Service de contrôle et de paie des enseignants (SECOPE). Parmi les membres du Gouvernement cités dans cette affaire, se trouve Willy Bakonga, ancien ministre de tutelle. Ce dernier a été arrêté dans la soirée du mardi 20 avril finissant à Brazzaville, alors qu’il s’apprêtait à prendre son vol pour Paris.
Pendant qu’un petit groupe avait pris le goût de détourner mensuellement 3 milliards de fc, plus de 249 mille enseignants Nouvelles unités (NU), attendaient désespérément être pris en compte sur le fichier de paie depuis plusieurs années. D’où, la colère du Président Félix Tshisekedi qui, dès les premières heures de la clameur sur le détournement de fonds à l’EPST, avait demandé à la Justice de se saisir de l’affaire, aux fins des enquêtes sans complaisance. A l’issue des recherches et de l’instruction judiciaires, deux responsables de l’enseignement public ont été condamnés fin mars à 20 ans de prison, justement pour détournement avéré de fonds.
On rappelle que l’année dernière, Willy Bakonga avait présenté à la réunion du Conseil des ministres du 8 mai, le rapport final de la Commission mise en place, avec l’appui de la Banque Mondiale, pour procéder à l’identification des enseignants Nouvelles Unités (NU) sur toute l’étendue de l’immense territoire congolais. Il était ressorti de ce document que près de 250.000 sur plus de 390.000 enseignants de l’Epst recensés, attendaient impatiemment d’être mécanisés, parce que non pris en compte sur le fichier de paie.
Finalement, 144.944 enseignants « NU » étaient éligibles à l’intégration pour 10.906 établissements, contre 249.748 enseignants « NU » qui n’avaient pas été alignés. Ce, pour plusieurs, raisons, selon la commission. Soit, les concernés travaillent dans des établissements fonctionnant avec de vrais-faux arrêtés, soit qu’ils prestaient dans des écoles sans infrastructures propres, soit encore dans des écoles ayant un nombre de locaux insuffisant, soit encore parce que leurs dossiers nécessitaient d’être complétés.
Il faut souligner ici, que les établissements scolaires concernés sont ceux des enseignants dont la mécanisation a été suspendue en 2014. « Les cas pris en compte étaient ceux enregistrés pendant la période allant de 2014 à 2018« , précisait le compte-rendu de la réunion du Conseil des ministres rappelée ci-dessus.
GOULOT D’ETRANGLEMENT A LA MESURE DE GRATUITE DE L’ENSEIGNEMENT
La gratuité de l’enseignement de base dans tous les établissements publics en RD Congo, est l’une des mesures phares du Président Félix Tshilombo Tshisekedi, au pouvoir depuis le 24 janvier 2019. Il se trouve, cependant, que dans son application, cette gratuité a connu de nombreux et sérieux problèmes, liés aussi bien au fonctionnement des écoles qu’à la paie des milliers d’enseignants qui n’avaient jamais perçu un seul sou du trésor public, en guise de rémunération.
A considérer le détournement de fonds confirmé par la Justice à l’Epst, on peut dès lors, confirmer que ce n’est pas de l’argent qui manquait au pays pour payer ces professionnels de « Notre beau métier« . Hélas ! L’argent était bel et bien décaissé mais atterrissait dans les poches d’un petit groupe de personnes, bien rodée dans la mafia. Ce qui explique ce que d’aucuns considèrent comme l’échec de la gratuité, traduite notamment par de nombreuses perturbations de calendrier d’activités, observées au cours des années scolaires 2019-2020 et 2020-2021, sous un prétexte bien trouvé de la Covid-19!
On rappelle qu’en raison de l’affaire de détournement de fonds, la Banque mondiale a suspendu en février dernier, un financement de 100 millions de dollars en faveur de la gratuité de l’enseignement de base.
Il faut également rappeler qu’au cours de la 13ème réunion du Conseil des ministres du 6 décembre 2019 à la Cité de l’Union africaine, le Président Félix Tshilombo Tshisekedi avait exhorté le Gouvernement à poursuivre ses efforts pour la construction de 300 nouvelles écoles prévue. Ce, dans le cadre de la concrétisation de la mesure de gratuité de l’enseignement de base dans tous les établissements publics.
En plus de ces écoles qui devaient sortir de terre, le Chef de l’Etat avait vivement recommandé l’implication de chaque membre du Gouvernement dans la réussite de cette mesure, très saluée à son annonce en août 2019, par de nombreux chefs de familles, sans ressources conséquentes pour faire face à la scolarité de leurs enfants.
Toujours lors de ladite réunion du Conseil des ministres, le successeur de Joseph Kabila avait informé les membres du Gouvernement des pourparlers que son cabinet avait eus, aussi bien avec des représentants de l’EPST qu’avec des délégués des écoles conventionnées. Ces contacts, avait expliqué Félix Tshilombo Tshisekedi, avaient abouti à l’engagement de la mécanisation des enseignants Non payés (NP) à la fin du mois de janvier 2020, au titre de 1er palier. Par contre, les enseignants « NU » devaient encore attendre le second trimestre de l’année 2020, pour percevoir leur premier salaire payé par le trésor public.
Cependant, des informations en provenance de différents syndicats professionnels renseignent que des milliers d’enseignants NP et NU continuent à attendre leurs rémunérations. D’aucuns justifient le retard observé dans la mécanisation de ces pros de la craie, par une maffia systémique, érigée en mode de gestion au SECOPE. D’où, la réforme, la restructuration vivement réclamée de ce service public.
Grevisse KABREL