Election de Dieudonné Kaluba : « Illégale », selon André Mbata

* Le Constitutionnaliste pense que ce vote aurait pu attendre le tirage au sort, prévu pour ce mois d’avril par le Parlement, conformément à l’article 158 de la Constitution.

L’élection hier mardi 20 avril, de Dieudonné Kaluba Dibwa à la présidence de la Cour constitutionnelle, suscite de vives réactions dans l’opinion. Des voix et pas des moindres, s’élèvent pour dénoncer la violation de la Constitution et des autres lois du pays par ce vote. Si les qualités intrinsèques du nouveau Président de la Haute cour font l’unanimité, il se pose cependant, un vrai problème dans la mesure où son élection fait de lui, ipso facto président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), alors qu’il n’est pas un magistrat de carrière, mais bien un avocat. Comment va-t-il diriger ces derniers?

L’élection de Dieudonné Kaluba Dibwa à la tête de la Cour Constitutionnelle est très contestée, aussi bien  par des organisations de la Société civile que quelques acteurs politiques. Déjà, le vendredi 15 avril courant, le Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Etat de Droit en Afrique (CREEDA), avait écrit au Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, pour dénoncer l’irrégularité qui caractérise le processus enclenché de cette élection.

Dans sa correspondance, cette institution de recherche avait  demandé, sans succès, au Chef de l’Etat, en sa qualité de défenseur de la Constitution et garant du bon fonctionnement des institutions de la République, de donner un avis contraire à l’organisation de l’élection du nouveau Président de la Cour constitutionnelle avant le  tirage au sort.

Pour CREEDA, ce vote ne pouvait pas avoir lieu sans l’organisation préalable du tirage au sort, conformément aux articles 158 alinéa 4, de la Constitution et 6 de la loi du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de cette juridiction.

Outre cette institution de recherche, plusieurs autres personnalités politiques et scientifiques ont réagi à cette élection. Toutes  s’inquiètent de voir la plus haute juridiction du pays, ne pas prêcher par l’exemple, au point de violer notablement la Constitution et les autres lois de la République.

Parmi les techniciens du Droit qui ont donné de la voix au sujet de cette élection, figure le Prof André Mbata. Dans un entretien avec Forum des As, ce constitutionnaliste crie à la violation de la Constitution. Aussi, dit-il ne pas du tout comprendre la précipitation avec laquelle la Cour constitutionnelle a organisé l’élection de son président hier.

ATTENDRE LE TIRAGE AU SORT

Tout en félicitant son collègue enseignant de l’Université de Kinshasa (UNIKIN), pour son élection à la tête de cette haute juridiction, le Constitutionnaliste André Mbata pense, néanmoins,  que ce vote aurait pu attendre le tirage au sort prévu pour ce mois par le Parlement, conformément à l’article 158 de la Constitution.

Cet article dispose clairement que « la Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. Les deux tiers des membres de la Cour Constitutionnelle doivent être des juristes provenant de la magistrature, du barreau ou de l’enseignement universitaire. »

Par ailleurs, à son alinéa 3, le même article 158 de la Constitution stipulé que « la Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans. Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe. » C’est à la lumière de ces dispositions constitutionnelle que le Prof André Mbata dénonce le vote de pairs hier à la haute Cour.

« Tout en félicitant le nouveau président de la Cour Constitutionnelle, j’estime que cette élection aurait pu attendre le tirage au sort avant de procéder à l’élection. Dès lors que le tirage au sort est programmé pour ce mois par le Parlement,  Il n’y avait donc pas matière à  précipitation. Imagine un seul instant que l’actuel président soit tiré lors du tirage au sort, que serait la suite ?« , s’est-il interrogé.

Pour le professeur André Mbata, il  n’y a pas deux façons de voir les choses :  » ce que les juges constitutionnels ont fait hier est illégal », souligne-t-il.  Il pense que conformément à l’article 40 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, l’élection à la tête de cette juridiction devrait, en principe, intervenir au plus tard au mois de décembre prochain.

 » Pourquoi alors cet empressement ? Pourquoi cette fuite en avant ? Lorsque la Cour qui doit appliquer la loi, qui doit prêcher par l’exemple, ne la respecte pas, vous imaginez les conséquences sur l’Etat de Droit que l’on veut construire ? On devrait, en principe, surseoir à cette élection ; en attendant que le tirage au sort  prévu d’ailleurs pour ce mois, ait lieu « , insiste ce constitutionnaliste.

A l’instar d’André Mbata, d’autres juristes, non des moindres, embouchent la même trompette pour dénoncer  la violation des lois du pays.  C’est le cas de Delly Sesanga, membre éminent du Groupe de 13 personnalités (G13). Ce juriste de haut vol estime que le tirage au sort est un élément clé de l’indépendance et de la légitimité de la Cour Constitutionnelle.

 » Quand j’ai écrit la loi sur la Cour Constitutionnelle, j’étais loin d’imaginer l’usage que l’on en fait aujourd’hui. Le respect scrupuleux des procédures de changement de ses membres est l’élément de sa légitimité, le tirage au sort un dispositif clé de son indépendance « , fait remarquer ce député national sur son compte tweeter.

DIEUDONNE KALUBA, PRESIDENT DU CSM ?

Si les qualités essentielles du nouveau président de la haute Cour  ne sont pas sujettes à caution, d’autres juristes relèvent, toutefois, que l’élection de ce dernier à la tête de cette juridiction fait inéluctablement  de lui, président du Conseil supérieur de la magistrature, alors qu’il n’est pas magistrat de carrière. « Dès lors, comment va-t-il pouvoir diriger les magistrats », s’interroge-t-on.

Mais au-delà de toutes les observations à faites l’aune des textes légaux, le prof. André Mbata affirme que Kaluba Dibwa a le profil de l’emploi. « Il a été avocat près la Cour de Cassation pendant plusieurs années. Il est professeur de Droit dans des universités. Il a même une publication sur la Cour Constitutionnelle. Je n’ai pas de problème avec son profil. Il n’y a pas de problème de ce point de vue-là« , a-t-il déclaré.

A titre de recommandation, André Mbata pense qu’en tant qu’enseignant  de Droit, Dieudonné Kaluba devrait donc œuvrer pour la promotion de l’Etat de droit en RDC. Ce, conformément à la vision du chef de l’État Félix-Antoine Tshisekedi. « La tâche est noble. En tant que professeur de Droit, il doit contribuer à bâtir un Etat de droit en RDC, en faisant en sorte que la Cour constitutionnelle interprète correctement la Constitution et l’applique sans faille, selon la philosophie qui veut que le pouvoir judiciaire est indépendant. Il a cette charge-là devant la nation…« , a exhorté André Mbata.

Le nouveau président de la Cour Constitutionnelle est appelé à travailler dans le sens de permettre à cette juridiction de jouer pleinement son rôle de chien de garde de la constitutionnalité des textes de lois.

Il sied de rappeler que le vote qui a porté Dieudonné Kaluba, hier à la tête de la Cour constitutionnelle, a été organisé à huis clos. Au total, quatre juges ont été en lice pour occuper ce fauteuil. A savoir : Evariste Funga, Jean-Pierre Mavungu, Dieudonné Kaluba et Corneille Wasenda. La suite, on connait.

Professeur de Droit à l’Université de Kinshasa et dans plusieurs autres établissements  d’Enseignement supérieur et universitaire, Dieudonné Kaluba Dibwa a été nommé le 17 juillet 2020 par ordonnance présidentielle comme juge à la Cour Constitutionnelle. Comme président de la Haute cour, il  remplace Benoît Lwamba qui a démissionné en juillet 2020.

Dieudonné Kaluba Dibwa est né à Mbuji-Mayi (Kasaï Oriental) le 4 février 1966. Il a été proclamé  Docteur en Droit public de l’Université de Kinshasa, avec la mention plus grande distinction, le 31 août 2010,  au terme d’une soutenance de thèse dans la salle de promotion Mgr Luc Gillon. Outre ses fonctions académiques, Dieudonné Kaluba Dibwa  est avocat. Il a été pendant plusieurs années, avocat près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe. Il a également  exercé comme Conseiller près la Cour pénale internationale.

Chercheur infatigable, l’actuel président de la Haute Cour a, à son actif, plusieurs publications scientifiques sur le  Droit public et le Droit privé. Il est aussi auteur d’une publication dur sur la Cour constitutionnelle.

A noter que l’élection de Dieudonné Kaluba à la présidence de la Cour constitutionnelle, vient boucler la boucle du processus de mise en place dans l’appareil judiciaire déclenché par le Président Félix-Antoine Tshisekedi, au terme de son ordonnance (querellée ?) du vendredi 17 juillet  2020.

Orly-Darel NGIAMBUKULU

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